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Table ronde 2 : Sur fond de pénurie, comment recruter des professionnels en nombre et en qualité ?

La pénurie de professionnels de la petite enfance est le défi majeur auquel le secteur doit faire face. Du côté de l’accueil collectif : il manque aujourd’hui environ 10 000 professionnels de crèche. Du côté de l’accueil individuel : le nombre d’assistantes maternelles ne cesse de baisser et des départs à la retraite massifs sont attendus d’ici 2030. Et, dans le même temps, le gouvernement s’est engagé dans le cadre du service public de la petite enfance à développer 200 000 places d’accueil supplémentaires d’ici 2030. Bref, urgence il y a ! Mais, dans ce contexte, comment réussir à recruter et à bien recruter ? Est-ce vraiment possible ? Pour aborder cette problématique, cinq invités, qui ont pris le sujet à bras-le-corps : Jean-Pascal Tortonese, coordinateur petite enfance à la Caf du Rhône ; Géraldine Guillot Lacaule, gestionnaire des micro-crèches Doucalinou, trésorière du REMi ; Sandra Onyszko, porte-parole de l’Ufnafaam ; Anne Méchine, référente technique de la micro-crèche d’application Les Buissonnets (Vyv3 Pays de Loire- FNMF) ; Fannie Le Boulanger, adjointe au maire de Bordeaux, chargée de la petite enfance et de la parentalité.


Campagne de communication, apéros recrutement… des initiatives pour agir dès à présent

La dynamique des villes
Places gelées, horaires d’accueil réduits, fermetures de section… Nombre de villes sont impactées par le manque de professionnels de la petite enfance et doivent donc s’adapter pour respecter la réglementation et notamment le taux d’encadrement. Ainsi à Bordeaux, en septembre 2023, 70 postes étaient vacants dans les crèches municipales (selon Fannie Le Boulanger, cela équivaut à 100 places gelées) et, en 8 ans, la ville comptabilise 25% d’assistantes maternelles en moins. Et dans le même temps, Bordeaux « fait face à une forte dynamique démographique avec de nouveaux quartiers. Nous nous sommes engagés à construire 500 places de crèches sur le mandat. On a déjà livré près de 300, mais la réalité c’est que nous ne pouvons pas ouvrir facialement les 300 parce qu’on a énormément d’établissements qui tournent à 30 places au lieu de 40 (…) », a souligné Fannie Le Boulanger. Laquelle a poursuivi : « on s’est lancé dans une campagne de communication pour visibiliser le sujet (« Bordeaux recrute pour ses crèches municipales Et si c’était vous ») ». Une campagne en trois temps (octobre/novembre ; janvier/février ; fin du printemps 2024) car « l’idée est de marteler le message, de revenir quelques mois plus tard avec des visages différents (ndlr : des professionnels de la petite enfance de la ville se sont prêtés au jeu) ». « L’objectif n°1, a-t-elle encore expliqué, c’est qu’à la fin de la campagne, on fasse vraiment des recrutements, mais nous n’étions pas naïfs, nous savions que cela n’allait pas changer radicalement la situation. » L’idée de cette campagne était donc aussi de promouvoir les métiers de la petite enfance, de les valoriser, ce qui a eu aussi « un impact très positif pour nos personnels de crèche qui se sentaient soutenus », a affirmé Fannie Le Boulanger. Côté résultats effectivement, le nombre d’embauches n’a pas bondi, mais elles ont permis d’ores et déjà de dégeler 10 places. Lors de la 1ère campagne : 18 recrutements dont 1 EJE et 2 AP (les métiers les plus en tension). Lors de la 2e campagne : 10 recrutements dont 3 EJE et 2 AP. « Sur les qualifications CAP, on voit une grande disparité de qualité des diplômes », a-t-elle souligné. Et de préciser : « en fait, on a surtout un sujet de quantité sur les diplômes de type infirmière puéricultrice ou EJE et un sujet de qualité des diplômes CAP ».

La ville de Lyon, elle aussi, a déployé une campagne de promotion des métiers « avec des résultats identiques » à Bordeaux, a indiqué Jean-Pascal Tortonese. « Mais on peut se demander si c’est vraiment le meilleur endroit où mettre son énergie et ses moyens », a-t-il continué. D’autres initiatives en ce sens ont été menées par Lyon. « On s’est impliqués dans des jobs dating organisés par des organismes de formation (EJE…), (…) en leur permettant en particulier d’accéder à notre fichier employeur donc ça a un peu augmenté le lien qui existe entre les recruteurs et les stagiaires qui sortent de formation, a donné pour exemple Jean-Pascal Tortonese. Mais, encore une fois, les résultats sont modestes, et quand on les voit de l’extérieur, ils peuvent être décevants. Même si chaque recrutement est un succès, en termes de masse cela ne fait pas bouger trop la balance ».

Des initiatives aussi dans le champ de l’accueil individuel
Expositions photos, vidéos sur le métier d’assistante maternelle… autant d’initiatives qui, selon Sandra Onyszko, permettent en premier lieu d’agir sur la reconnaissance de ce mode d’accueil. Mais pour la porte-parole de l’Ufnafaam, la « question de fond » concernant la problématique du recrutement, c’est : « est-ce que c’est une crise des vocations ou une crise des conditions d’accueil ? ».

Des méthodes de recrutement d’un nouveau genre
Côté gestionnaires, certains testent des formules de recrutement relativement peu classiques. Géraldine Guillot Lacaule a ainsi mentionné les apéros recrutement mis en place par un adhérent du REMi : « on est sur une phase expérimentale », l’idée est de « sortir du schéma traditionnel du recrutement, en face à face, solennel ». Au vu des retours, il semblerait que les candidates, qui « peuvent venir accompagnées de leur conjoint, d’une amie (…) », apprécient ce type de méthode, a-t-elle indiqué. Lors de ces apéros qui se tiennent dans les locaux des micro-crèches, le gestionnaire, la direction et des membres de l’équipe sont présents. 
« Nous prônons également des phases d’immersion dans les micro-crèches pour valider le projet professionnel de la personne et pour rassurer l’équipe et la direction de la micro-crèche », a-t-elle encore indiqué. Sans oublier « tout le travail d’accueil des stagiaires et des apprentis qui peut ensuite déboucher sur des postes. »

Agir en amont : la formation des professionnels de la petite enfance en question

A la source aussi, il convient d’intervenir pour avoir plus de professionnels et des professionnels bien formés. Une solution parmi d’autres, mais très intéressante : les crèches d’application liées à un lycée professionnel comme la micro-crèche VYV3 Pays de la Loire du lycée Les Buissonnets à Avrillé, près d’Angers, qui a ouvert ses portes en septembre 2023. Au sein de ce lycée : des jeunes qui préparent notamment le bac pro sapate (service aux personnes et aux territoires), le CAP AEPE ou encore le diplôme d’auxiliaire de puériculture (via l’ifap), en apprentissage pendant 18 mois, sur un rythme de 3 jours à l’Ifap tous les 15 jours. « Cette micro-crèche est située dans le lycée et ce qui est innovant, c’est qu’il y a une vitre sans tain entre la salle principale de la micro-crèche et la salle de TP de puériculture de l’Ifap. (…) Quand les professionnels sont observés, ils le savent. Il y a un voyant qui est allumé. (…) On est vu et entendu. Et à chaque fois, il y a un debriefing de cette observation », a indiqué Anne Méchine. Par ailleurs, « c’est une micro-crèche où les différents types de professionnels sont représentés (1 puéricultrice, 1 EJE, 1 AP, 2 CAP). La volonté était qu’il y ait ces 4 types de diplômes pour pouvoir parler de nos métiers auprès des étudiants, des lycéens », a-t-elle encore expliqué. Un projet qui a été rendu possible grâce au financement de la Caf et de la ville. Et qui semble porter ses fruits : « Nous avions prévu d’ouvrir 25 places et finalement c’est une quarantaine d’apprentis qui ont démarré », a-t-elle souligné. Et a précisé : « Ça veut dire que les employeurs (ndlr : ils bénéficient une aide de l’Etat sur l’apprentissage) ont aussi joué le jeu de l’apprentissage (…) Les structures sont partie prenante de la formation. Elles doivent transmettre, suivre le référentiel de formation, les évaluer, les accompagner au quotidien ». 

Une initiative que l’on trouve également ailleurs : « Cela fait 3-4 ans que l’on essaie de stimuler l’émergence de crèches d’application dans le Rhône, en particulier via l’appel à projet fonds public et territoire. On en a une qui a démarré avec quasiment la même configuration (Ndlr : que les Buissonnets) », a informé Jean-Pascal Tortonese. Et a poursuivi : « On a aussi un projet plus important avec la ville de Lyon mais qui, malheureusement, a été retardé. On n’arrive pas à trouver le personnel pour démarrer cette crèche d’intégration. »

Du côté de l’accueil individuel, pour Sandra Onyszko, il faut se poser la question de la réorganisation de la formation initiale. « Aujourd’hui, de manière globale, a-t-elle expliqué, le parcours de l’agrément est plus long qu’il y a 5-6 ans. On est entre 8 et 9 mois d’attente. » « Ensuite, il y a quand même une difficulté de formation, a-t-elle ajouté. Il faut partir du principe que l’assistant maternel est un professionnel qui doit mobiliser à l’instant T ses propres connaissances et c’est celui qui a le moins de ressources. Cela fait des années que l’on réclame un allongement de la formation initiale. Ça fait des années qu’on nous dit que les assistantes maternelles sont mal formées, qu’il y a des manques, mais il n’y a pas de moyens ! ». Et Sandra Onyszko de proposer : « il faudrait que les assistantes maternelles puissent accéder à une formation initiale et puis tous les ans obtenir des heures de formation régulières. » Elles pourraient bénéficier d’une formation jusqu’au CAP. « Aujourd’hui, le parcours est incohérent parce qu’aujourd’hui être assistante maternelle c’est avoir accès à un métier et pas à une carrière. Et cela ne fonctionne plus avec les jeunes générations », a-t-elle affirmé.

Les solutions pour fidéliser les professionnels de la petite enfance

Si recruter de nouveaux professionnels est essentiel, tous ceux déjà en poste ne doivent pourtant pas être oubliés. Comment les fidéliser ? Les motiver ? Les accompagner au mieux ? La Caf du Rhône a, pour sa part, lancé, avec la Maison métropolitaine d’insertion pour l’emploi de Lyon métropole, un club RH petite enfance pour les directeurs et directrices de crèche de tout statut, lesquels « ont très peu de formation initiale autour de la fonction de manager d’équipe, très peu de compétences développées au niveau de la RH alors même que ces fonctions RH sont particulièrement mobilisées », a indiqué Jean-Pascal Tortonese. « Concrètement, c’est un cycle de formation continue qui mélange webinaire et présentiel (…). Ce cycle s’étale sur toute une année scolaire avec trois thèmes différents qui balayent l’ensemble des thématiques de gestion RH », a-t-il précisé. Une expérimentation qui a rencontré un succès certain : au début, 30 personnes s’étaient inscrites, aujourd’hui, on en compte 210. Et certaines directrices de crèche en sont à leur 3e année. « Nous avons des évaluations extraordinaires, s’est félicité Jean-Pascal Tortonese, 90% des participants nous disent qu’ils ont déjà transformé leur façon de manager l’équipe et on voit que cela a des incidences permettant de stabiliser les équipes. » Une initiative qui au final « permet de lutter contre l’isolement de la directrice (…) grâce aux rencontres régulières avec d’autres pairs » et qui « permet au sein de l’équipe d’aider à révéler des potentiels pour les mettre en valeur. » « Et puis ce club RH se traduit aussi par la mise au point d’outils très concrets, très opérationnels : comment je fais une grille d’entretien téléphonique pour sélectionner des candidats quand j’en ai un peu trop », a encore souligné Jean-Pascal Tortonese. Quant au coût financier, il a indiqué : « en 2024, on a réservé à peu près 15 000 euros pour contribuer au club RH. Cela correspond à 95% du coût de cette opération ». Bref, le club RH « est parfaitement transposable partout et à moindre coût ». Et de fait, le département de l’Ain propose également ce dispositif.

A noter : la Caf du Rhône vient de lancer un nouveau dispositif : « Junior directrice ». Une formation de 6 jours pour celles (et ceux) qui prennent un poste de direction pour la 1ère fois, « qui va mixer RH et outils de gestion et pilotage de crèches ». Elle soutient aussi le programme « Mes premiers pas (ou presque) dans la petite enfance » porté par le réseau Acepp. Au programme : des journées de formation, des temps d’échange et une journée d’immersion dans une autre crèche pour les nouveaux salariés.

Pour sa part, Géraldine Guillot Lacaule estime que bien intégrer un nouveau salarié concourt à sa fidélisation : « prévoir un temps en binôme pendant plusieurs jours, un réel accompagnement ». Sans oublier, selon elle : la QVCT, donner du sens, avoir la reconnaissance, revaloriser les salaires, proposer de la formation continue, accompagner les démarches de VAE, avoir un management de proximité…

Les villes quant à elles n’ont pas de difficultés à garder leur personnel qui a le statut de fonctionnaire. Là où le bât blesse, c’est pour les EJE et AP qui souhaiteraient intégrer la fonction publique territoriale. Pour accéder à ce statut, ils doivent passer le concours de la fonction publique territoriale. « Il faudrait pouvoir ménager dans un contexte de pénurie nationale sans précédent des exceptions au concours de la fonction publique pour les gestionnaires publics », a suggéré Fannie Le Boulanger. Laquelle a aussi demandé au Comité de filière de se pencher sur la question. Elisabeth Laithier, sa présidente, a assuré que le Comité de filière travaillait avec la DGCL sur le sujet, car c’est un vrai « problème ». Même si une petite évolution a eu lieu : l’épreuve écrite a été supprimée. Elisabeth Laithier a aussi pointé le fait « que pour être fonctionnaire dans la fonction publique hospitalière, on n’a pas besoin de ce concours ». 

En conclusion de la table ronde, Sandra Onyszko a soulevé une question relative à l’accompagnement des assistantes maternelles : « Est-ce que le contrôle permet la montée en qualité ? ». « Je n’ai pas la réponse, a-t-elle poursuivi, ça dépend de la personne. Certaines personnes vont se rendre au domicile de l’assistante maternelle et lui expliquer ses manques, il pourra même y avoir un véritable échange, d’autres vont jouer au gendarme. Et là cela ne permet pas du tout la montée en qualité. » Concernant les professionnelles qui exercent en crèche familiale, le soutien passe, selon Sandra Onyszko, par la mise en place d’une mensualisation car « elles ne sont toujours pas obligatoirement mensualisées ». Enfin, les Mam aussi ont besoin d’être soutenues. Et la porte-parole de l’Ufnafaam de mentionner une initiative menée en Seine-Saint-Denis (93) et financée par la Caf : une médiation (à laquelle participe d’ailleurs Sandra Onyszko) et « depuis, a-t-elle précisé, pas une seule Mam n’a fermé ».

Voir le replay de la table ronde 2 sur le recrutement et la fidélisation des professionnels de la petite enfance
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Caroline Feufeu

PUBLIÉ LE 05 avril 2024

MIS À JOUR LE 19 avril 2024

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