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L’accueil de la petite enfance en Norvège
Parmi les 31 pays riches, la Norvège fait partie des meilleurs élèves en matière de politique familiale et d’accueil de la petite enfance selon l’Unicef. Les grandes caractéristiques de l’accueil du jeune enfant : un droit à la garde d’enfants pour les 1-5 ans depuis 2009, un accueil collectif prédominant, un financement important par l’Etat et une pédagogie tournée vers la nature. De fait, le système norvégien est bien souvent cité comme exemple.
Un pays « baby friendly »
Avant l’école – obligatoire l’année des 6 ans de l’enfant – comment sont accueillis les tout-petits ? « La Norvège est un pays spécialement « children friendly » et même « baby friendly ». Tout est fait pour qu’ils soient bien », assure le site de l’association des francophones et francophiles de Stavanger (ville du sud-ouest de la Norvège). Du côté des parents, confier leurs tout-petits aux structures collectives qui leur sont dédiées entre 10 mois et 5 ans, les Barnehage (littéralement jardins d’enfants), est un mode de garde financièrement abordable. Selon une étude rapportée par Courrier international en janvier 2020, les crèches norvégiennes comptent parmi les moins chères d’Europe. « Les parents y consacrent environ 6 % du revenu familial. Une dépense minime si on la compare à la part de leurs revenus qu’y consacrent les Britanniques ou les Suisses : 35,8 % pour les premiers et 29,2 % pour les seconds », précise l’article. Quant aux professionnels qui les accueillent, ils sont « tous enjoués et heureux de travailler 37 heures par semaine jusqu’à 67 à 70 ans en coopération avec les parents et les enfants », constate avec enthousiasme Nathalie CassoVicarini, fondatrice et déléguée générale d’Ensemble pour l’éducation de la petite enfance (1) dans la série de podcasts Regards croisés sur la petite enfance à l’occasion d’un voyage d’étude en Norvège qui s’est déroulé du 7 au 12 juin 2022.
De son côté, le gouvernement nommé en 2021 affiche des ambitions fortes pour la petite enfance, avec une attention particulière pour la formation des professionnels des jardins d’enfants, composés de responsables pédagogiques et d’un personnel qui les assiste. « Les responsables pédagogiques (43,6 %) possèdent un diplôme d’enseignants de maternelle ou un diplôme pédagogique équivalent (bac +3) », détaille Tove Mogstad Slinde, conseillère principale au ministère norvégien de l’éducation et de la recherche au sein du département de l’éducation et de l’accueil de la petite enfance. « Parmi le personnel, très impliqué auprès des enfants, 22,3 % sont formés en apprentissage comme travailleurs de l’enfance et de la jeunesse (VET), 3,5 % ont une autre formation supérieure ou une autre qualification pédagogique et 5,2 % ont une autre formation en tant que travailleurs qualifiés (VET). Les 25,5 % restant n’ont pas de formation spécifique. »
Une place pour chaque enfant de 1 an à 5 ans
Selon le site de l’ambassade de la Norvège, dans un article consacré à l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée, une grande réforme des jardins d’enfants (Barnehagereformen) a rassemblé en 2002, les partis politiques autour d’un consensus transpartisan : financer et organiser le secteur public des jardins d’enfants. En 2003, un accord (Barnehageforliket) spécifie que chaque famille peut bénéficier d’une place en jardin d’enfants (barnehage) pour son enfant dès l’âge d’un an. Depuis 2009, chaque enfant à partir de 1 an a droit à une place en barnehage. Les municipalités sont chargées de veiller à ce que ce droit soit respecté. Avant les 12 mois de leur enfant, c’est donc aux parents de s’en occuper.
Quand les deux parents travaillent, ils peuvent prendre un congé de naissance de quarante-neuf semaines (dix mois) payé à 100 % et dix semaines supplémentaires payées à 80 %. Quinze semaines sont réservées à la mère, quinze au père et dix-neuf (ou vingt-neuf) sont partagées. Une fois le congé terminé, ils peuvent bénéficier d’une place dans un jardin d’enfants avant l’école. Une attention particulière est ainsi portée à la continuité éducative entre le congé parental, les jardins d’enfants et l’école, « cela évite les ruptures dans lesquelles se creusent les inégalités », remarque Nathalie CassoVicarini (1). En 2021, les barnehage, généralement ouverts du lundi au vendredi, neuf à dix heures par jour (7 heures à 16 h 30, 7 h 30 à 17 heures), ont accueilli 268 465 enfants. À noter que parmi les enfants bénéficiant d’un mode de garde formel, seuls « 1,4% sont accueillis chez des assistantes maternelles », note le rapport Regards croisés. Ces dernières travaillent selon un contrat établi avec les parents. Ce système de garde individuel est plus rare et beaucoup plus onéreux selon l’article de Courrier international (1 200 € par mois contre 300 € pour une place en crèche).
Des jardins accessibles à tous les enfants
Les jardins d’enfants, organisés « surtout au niveau communal mais également subventionnés par l’État, constituent un élément majeur du système éducatif norvégien », explique le site de l’ambassade de la Norvège. Pour les familles en situation de précarité un système d’accueil supplémentaire permet de renforcer leurs chances d’intégration dans le marché de travail.
Les crèches publiques (47 %) et non-publiques (53 %) bénéficient du même traitement. Les jardins d’enfants « sont financés par l’État à 86,5 % et le reste est payé par les parents, détaille le rapport Regards croisés. Depuis 2013, la tendance est à la diminution de la part des parents au profit de la part de l’État. » L’objectif du gouvernement norvégien est de rendre les jardins d’enfants accessibles à tous les enfants, quelle que soit la situation financière de leurs parents. « Les familles les plus modestes bénéficient de 20 heures d’accueil gratuites, précise le rapport Regards croisés. Depuis 2004, il y a une prise en charge de 30 % pour le 2e enfant et 50 % pour le 3e enfant(avec une réflexion sur la gratuité pour le 3e enfant). »
Une qualité d’accueil tournée vers la nature
En 2021, les 5 025 jardins d’enfants employaient 95 201 personnes, dont 31 323 responsables pédagogiques selon selon le site des statistiques norvégiennes. « Le ratio est de maximum 7 enfants de moins de 3 ans par responsable pédagogique et de 14 enfants âgés entre 3 et 5 ans », précise Tove Mogstad Slinde. Concernant le personnel qui assiste les responsables pédagogiques, la loi stipule que les effectifs doivent être suffisants pour que le personnel puisse mener une activité éducative satisfaisante. Cela se traduit par « au moins un adulte pour trois enfants lorsque les enfants ont moins de 3 ans et un adulte pour six enfants lorsque les enfants ont plus de 3 ans », continue Tove Mogstad Slinde.
« Évidemment, avec un tel ratio, la qualité est au rendez-vous », commente Nathalie Casso-Vicarini (1). Ce ratio permet également d’organiser des activités en extérieur, voire d’accueillir des tout-petits dans des structures en pleine nature. « De la crèche à l’université, les jeunes Norvégiens ont accès à des apprentissages au grand air », raconte le site Géo tout en dénombrant, en 2020, 500 structures en plein air sur 5 800 jardins d’enfants. Même les établissements classiques emmènent très régulièrement les enfants dans la nature.
Ce qui n’a pas échappé à Janine Busson, présidente de l’association Enfance-Télé Danger lors du voyage d’étude Regards croisés : « Les enfants sont dehors cinq à six heures par jour et c’est tellement bon pour eux, observe-t-elle (1). Ces enfants-là sont équilibrés, calmes, reliés à la terre et c’est ça qui les protège. » Qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il neige, les enfants sortent tous les jours, même pendant la sieste. « La vie en extérieur fait partie de la culture norvégienne, complète Isabelle Filliozat, psychothérapeute (1). Dans cet environnement riche, il y a moins de conflits et moins de comportements débordants. Quant aux interactions entre les enfants, elles sont plus riches et plus harmonieuses. C’est magique et pourtant scientifique ! »
Une pédagogie attentive, individualisée et plaisante
« Le jardin d’enfants est un établissement pédagogique qui répond aux besoins d’attention, de soins, de jeu et d’apprentissage des enfants et est la première étape de leur éducation », explique un document en français intitulé Le jardin d’enfants, un bon départ, édité par la commune de Bergen (sud-ouest de la Norvège). Les enfants se développent et apprennent à travers le jeu et les activités, en interaction avec d’autres enfants et adultes. Le jeu, le mouvement et l’exploration (play, move, explore) sont au centre des apprentissages. « Les adultes ont confiance dans les capacités des enfants qui ne sont jamais suspectés de mal se comporter « exprès ». Les professionnels font avec les enfants et les suivent dans leurs expérimentations du monde et leur fournissent les ressources utiles », analyse Isabelle Filliozat (1).
Une attention particulière est portée à chaque enfant individuellement, en collaboration avec les parents, afin de leur fournir une prestation adaptée. S’y ajoute également la notion de plaisir. « L’adulte n’est pas uniquement centré sur la sécurité et le cadre. L’adulte et l’enfant prennent aussi du plaisir à jouer ensemble », remarque Ingrid Bergeaud, directrice d’un réseau de crèches en Nouvelle Aquitaine (1).
La commune de Bergen (sud-ouest de la Norvège) insiste sur l’apprentissage des langues. « Le jardin d’enfants peut s’entendre avec les parents pour que l’enfant apprenne en même temps sa langue maternelle et le norvégien », détaille le document Le jardin d’enfants, un bon départ, tout en rappelant « qu’il est important de fréquenter tôt le jardin d’enfants pour apprendre le norvégien avant de commencer l’école ».
Une formation universitaire en lien avec la recherche
Au jardin d’enfants, les responsables pédagogiques ont au moins trois ans de formation supérieure (bac + 3). Le diplôme, qui s’obtient à l’université, dispense une connaissance approfondie sur le développement des enfants avec des stages pratiques en crèche.
« Certaines crèches sont des partenaires essentiels de l’université puisqu’elles collaborent au contenu des formations, à la qualité de l’accueil et aussi aux recherches » (1), remarque Valérie Savary, directrice pédagogique du centre de formation IRTS de Lille. À Oslo, par exemple, l’amélioration continue de la qualité dans les crèches est une préoccupation majeure. « Les normes et les outils pédagogiques sont en perpétuelle évolution, basés sur la recherche et élaborés en lien avec les pédagogues du terrain pour s’adapter au mieux aux besoins des enfants », pointe le rapport Regards croisés. Ce partenariat permet un dialogue permanent entre la recherche et le terrain. « Toutes les actions mises en place sur le territoire norvégien sont issues de recherches-actions très pragmatiques, analyse Nathalie Casso-Vicarini (1). Elles permettent aux professionnels de bien se situer et d’actualiser leurs connaissances. C’est essentiel, précieux et valorisant pour les métiers de la petite enfance. »
(1) Citation issue de la série de podcast Regards croisés sur la Petite Enfance : voyage d’étude en Norvège.
Merci à Ensemble pour l’Education de la Petite Enfance de nous avoir partagé son rapport « Regards croisés »
La Norvège en chiffres
Population : 5 455 582 au deuxième semestre 2022.
Enfants âgés de 1 à 5 ans : 284 235 en 2022.
Nombre d’enfants fréquentant un jardin d’enfants : 268 465 en 2021.
Nombre de jardins d’enfants : 5 525 en 2021
Taux de fréquentation : 93,4 % des enfants âgés de 1 à 5 ans fréquentaient les jardins d’enfants en 2021.
Pourcentage de structures publiques : 47 % en 2021.
(source : Statistisk sentralbyra)
Anne-Flore Hervé
PUBLIÉ LE 03 octobre 2022
MIS À JOUR LE 07 octobre 2024