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Zoom sur L’égalité filles-garçons dans les structures d’accueil
Plusieurs rapports, des recommandations parfois ignorées, quelques ajustements administratifs… Après un temps d’errements, l’enjeu de l’égalité entre filles et garçons s’est invité dans les structures d’accueil de la petite enfance il y a maintenant une dizaine d’années. Mais à l’heure où les questions de genre sont sur toutes les lèvres, où en est-on exactement dans le secteur ? Effet de mode ou problématique vouée à s’inscrire durablement dans les pratiques professionnelles ? Enquête.

La petite enfance, un âge clé pour prévenir les stéréotypes de genre

Est-il vraiment indispensable de s’atteler aux questions d’égalité de genre entre enfants dès la crèche ou l’accueil chez l’assistante maternelle ? La question, qui se posait peut-être il y a encore quelques années, fait désormais l’objet d’un consensus. Et la réponse est (évidemment) positive ! En effet, dès leurs premiers mois de vie, les enfants évoluent dans un environnement baigné de stéréotypes de genre, favorisant ainsi plus tard la persistance d’inégalités sexuées. Il suffit, à bien y regarder, de se pencher sur la définition même du stéréotype de genre, rappelé par Julie Pinel, chercheuse en maîtrise de l’éducation à l’Université du Québec à Montréal. « Les stéréotypes de genre sont définis comme des caractéristiques, des traits de personnalité et des comportements que l’on attribue, de façon générale, au féminin ou au masculin », explique-t-elle dans la revue Le Furet de décembre 2022 consacrée aux inégalités de genre. Un compliment ou un surnom affectueux donné aux petites filles accueillies, des encouragements plus insistants pour les petits garçons, lors de leurs prouesses psychomotrices… On pourrait voir là des réflexes anodins de la part de professionnels. Pourtant, ils peuvent devenir un réel problème à plusieurs titres. D’abord, parce que la petite enfance constitue une phase clé de la construction de l’identité de genre chez l’enfant et que les facteurs sociaux (l’entourage, le lieu d’accueil, etc.) ont une influence non négligeable sur sa schématisation et plus globalement sur ses interactions avec les autres. Julie Pinel le rappelle : « Par l’observation de ses différents milieux de vie, prendra forme le modelage qui lui permettra d’identifier les règles et les structures sous-jacentes et d’être en mesure de les reproduire dans d’autres situations. Par exemple, une famille où le partage des tâches est genré exerce son influence sur les enfants dans leur rapport aux autres. La jeune fille peut reproduire des comportements s’apparentant à ceux de la mère, et le jeune garçon peut adopter les comportements du père », continue la chercheuse.
La France en retard en matière d’égalité filles-garçons ?
Ensuite, car les lieux d’accueil sont, à l’image de la société, imprégnés de stéréotypes de genre comme viennent le confirmer aujourd’hui de nombreuses études. Leurs conclusions (entre autres) : les professionnels ont un biais perceptuel des enfants accueillis selon leur genre, leurs attentes ne sont pas les mêmes là encore, selon que l’enfant accueilli est une fille ou un garçon, etc. Un constat qui ne fait pas l’ombre d’un doute sur le terrain : « On voit ces différences genrées même chez les tout-petits », explique Sophie Collard, sociologue et coordinatrice générale d’Artemisia, l’association à l’origine du programme Egalicrèche. « L’espace des lieux d’accueil est occupé à 80 % par des garçons, 75 % des compliments sur l’apparence sont faits aux filles et dès le plus jeune âge, les enfants tendent à jouer entre eux, selon leur genre (…). Sans compter que la France a un retard significatif sur d’autres pays en matière de lutte contre les inégalités de genre », souligne-t-elle. Et de rappeler ainsi que dans les pays scandinaves, les politiques pro-actives en matière d’égalité filles-garçons ont été déployées dès les années 90. Résultat : « On constate sur les cohortes étudiées, que les enfants qui ont évolué dans des lieux d’accueil égalitaires ont fait plus tard des choix scolaires et professionnels plus variés et affirment être heureux plus que les autres. On pourrait faire pareil chez nous ! » continue Sophie Collard, qui salue tout de même des progrès accomplis depuis une dizaine d’années en matière de lutte contre les stéréotypes de genre dans le secteur de la petite enfance français.
2012 : le rapport de l’IGAS donne le ton
C’est justement il y a une dizaine d’années que les pouvoirs publics français se sont emparés de la question, avec la publication par l’IGAS, du rapport sur l’égalité entre filles et garçons dans les modes d’accueil de la petite enfance. Conduit par Brigitte Grésy et Philippe Georges, rendu public en décembre 2012, il fait à l’époque un « bilan déroutant » en matière d’égalité des genres. Premier constat : « Ni la formation initiale théorique, ni les stages pratiques et bien faiblement la formation continue, ne donnent aujourd’hui aux professionnels de la petite enfance l’occasion d’aborder la question des représentations du masculin et du féminin, a fortiori la question du genre », expliquent les auteurs dans leur rapport.
Plus inquiétant encore, les pratiques professionnelles, sous couvert de neutralité, renforcent les stéréotypes de genre, comme en attestent de nombreux exemples mis en évidence dans ce même cadre. Pour n’en citer que quelques uns : dans les interactions des professionnels avec les enfants, les stimuli sont différents selon le genre, les activités et les jeux sont souvent différenciées entre filles et garçons, les jouets et la littérature enfantine favorisent la perception d’un monde binaire, où le masculin l’emporte sur le féminin…
Autre problème souligné par le rapport de l’IGAS (et non des moindres) : la non mixité des métiers de la petite enfance, qui conforte les enfants, là encore, dans une vision binaire du Care, le fameux prendre soin. « Les métiers de la petite enfance sont marqués par une forte division sexuelle », affirment ainsi les auteurs du rapport. « D’un côté, l’attribution aux professionnelles de la petite enfance de caractéristiques féminines (don de soi, amour, solidarité, disponibilité), entraînant une invisibilité des compétences nécessaires à acquérir, de l’autre, l’attribution aux professionnels masculins de rôles traditionnellement dévolus aux hommes (fonctions d’autorité, etc.) », continuent-ils.
De cet état des lieux ont découlé 15 recommandations plus ou moins suivies pour favoriser l’égalité, articulées autour de 5 axes (lancement de la démarche Pass’Age, inscription de la démarche dans un réseau d’acteurs via le Pacte éducatif pour l’enfance…). Pour autant, le rapport de l’IGAS n’est pas resté sans effets et ceci à deux titres :
- il a contribué à faire de l’égalité filles-garçons une priorité politique : il précède ainsi plusieurs autres travaux à l’instar du rapport « Lutter contre les stéréotypes filles-garçons » du Commissariat général à la stratégie et à la perspective, remis à Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre des Droits des femmes, en janvier 2014, puis du Plan d’action et de mobilisation contre le sexisme de 2016, gages de l’importance de ces sujets pour les pouvoirs publics.
- il a mis en lumière l’importance de l’amélioration de la formation des professionnels et a ainsi « donné la motivation aux crèches de proposer ce type de formation à leurs salariés », souligne Sophie Collard, en rappelant que le programme Egalicrèche voit justement le jour, dans sa forme actuelle, la même année que le bilan de l’IGAS.
2016-2017 : le rapport Giampino et la charte nationale d’accueil du jeune enfant enfoncent le clou
Dans la même lignée, le rapport développement du jeune enfant, modes d’accueil et formation des professionnels de la psychologue Sylviane Giampino, commandé par Laurence Rossignol, alors ministre de l’Enfance, des Familles et des Droits des femmes, vient enfoncer le clou sur la nécessité de déployer des réelles mesures contre les stéréotypes de genre dans les structures de la petite enfance afin de favoriser le bon développement du jeune enfant. Se fondant sur les constats de l’IGAS, la mission invite notamment « les collectivités territoriales et les EAJE à réviser leurs documents d’orientation et leur projet d’accueil en y portant mention qu’ils s’adressent à des petits garçons et des petites filles » et recommande d’adapter la formation (initiale et continue) des professionnels dans ce sens. Elle engage également à repenser le concept même de soutien à la parentalité, rappelant ainsi l’importance des familles dans la lutte pour l’égalité. « Largement diffusé depuis les années 90 en France, (ce concept, ndlr.) a le mérite de refléter une représentation qui égalise les places et les responsabilités des pères et des mères. Toutefois, il masque les enjeux tenant à la différence et aux inégalités entre les sexes
dans la sphère familiale et de l’accueil, à savoir que les enfants sont des petits garçons et des petites filles et que les adultes, parents comme professionnel-le-s, sont des hommes et des femmes », lit-on dans le rapport Giampino. Ces recommandations sont, pour la plupart, suivies dans le cadre du Plan Petite Enfance qui encourage dès 2016 les professionnels à mettre en place des démarches pour favoriser l’égalité filles-garçons et veut favoriser la mixité professionnelle dans la continuité du Plan métiers lancé la même année (sensibilisation des conseillers d’orientation, etc.). Mais ce n’est pas là le seul effet du rapport Giampino : en donnant naissance à la charte nationale d’accueil du jeune enfant en 2017, elle donne une visibilité nouvelle aux questions d’égalité de genre, grâce à son point 7 qui stipule clairement : « Fille ou garçon, j’ai besoin que l’on me valorise pour mes qualités personnelles en dehors de tout stéréotype. Il en va de même pour les professionnelles qui m’accompagnent. C’est aussi grâce à ces femmes et à ces hommes que je construis mon identité ».
2017-2021 : une nouvelle ambition pour l’égalité filles-garçons
Nouvelle impulsion pour en finir avec les inégalités de genre fin 2017. Emmanuel Macron déclare alors l’égalité entre hommes et femmes, grande cause nationale de son premier quinquennat. Parmi les piliers de l’action gouvernementale annoncée fin novembre, l’éducation et plus particulièrement « la formation des professionnels de la petite enfance afin de déconstruire les représentations sexistes dès le plus jeune âge », lit-on sur le site du gouvernement.
Cette ambition, qui s’inscrit en fil rouge dans différentes politiques du gouvernement, s’incarne plus particulièrement dans le Plan de formation « Ambition enfance-égalité » qui voit le jour en mai 2021. Son objectif : former quelque 600 000 professionnels (objectifs largement revus à la baisse depuis, voir LH n°57) afin de favoriser un meilleur accueil du jeune enfant. Ce plan de formation en deux volets (national et territorial), doté d’un budget de 37 millions d’euros, s’articule autour 7 thématiques clés : le langage, l’alimentation et la nature, l’art et la culture, l’accueil occasionnel, l’accueil des parents, le numérique. Et surtout la prévention des stéréotypes.
Pour Rebecca Riess, directrice du Furet, ce plan a un réel impact sur le financement des formations et des initiatives dédiées à l’égalité filles-garçons dans les structures d’accueil : « les premières formations ont été prises en charge dans le cadre de la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, quand les autres financements n’étaient pas encore prêts. Aujourd’hui, les appels à projets sont souvent les mêmes qu’il s’agisse des 1 000 premiers jours, d’Ambition Enfance-Égalité et de la Stratégie nationale. Il y a donc une continuité administrative, même s’il est vrai qu’elle a été peu complexe », avoue-t-elle.
2021 : l’épanouissement de l’enfant sur les lieux d’accueil, en dehors des stéréotypes, inscrite dans la loi
Des thématiques un temps complexes à aborder, mais qui sont aujourd’hui devenues incontournables, voire stratégiques. « La notion d’égalité filles-garçons rejoint non seulement la politique des 1000 premiers jours qui pointe l’importance d’un environnement sain et serein pour les pour les petites filles et les petits garçons, mais elle figure aussi dans la Charte pour l’accueil du jeune enfant. C’est ce levier qui été le plus efficace du côté des crèches en termes de volonté d’agir en faveur de cette égalité », souligne Sophie Collard.
D’autant plus que suite à la réforme du service aux familles et l’ordonnance du 19 mai 2021, la charte nationale d’accueil du jeune enfant prend force de loi, et avec elle ses dix principes favorables au développement et à l’épanouissement de l’enfant sur les lieux d’accueil, dont le fameux point 7 !
De quoi donner des ailes aux projets égalitaires des structures. Un exemple (parmi bien d’autres) : le programme les Épicènes des crèches Crescendo / groupe SOS. Dans ce cadre, quelque 850 professionnels devraient, à terme, être sensibilisés aux questions d’égalité filles-garçons grâce à une formation déployée avec différents partenaires associatifs. Sans compter les parents des enfants accueillis auxquels cette démarche s’adresse aussi. Pour déployer les Épicènes, « le programme a été financé à la fois par la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté à hauteur de 180 000 euros versés pour 2 ans, mais aussi par la DGCS, qui a contribué à hauteur de 5000 euros et les CAF de Paris et de Saint-Denis qui ont participé à hauteur respectivement de 73 600 euros et 18 000 euros. Cela va nous permettre de faire de belles choses », explique Béatrice Balvay, directrice du développement chez SOS / Crescendo.
Des inégalités profondément ancrées dans les lieux d’accueil
Les dispositifs et les partenaires pour financer ce type d’initiatives sont donc désormais en place. Et pour bien des experts des questions d’égalité, ce n’est pas trop tôt. Car même en 2023, les stéréotypes de genre sont encore omniprésents sur les lieux d’accueil. Sophie Collard l’observe régulièrement dans les structures pour lesquelles Artemisia réalise des diagnostics visant à identifier les facteurs d’inégalités genrées. Il y a certes les stéréotypes persistants à l’égard des enfants, la non-mixité des équipes, mais pas seulement.
« Les parents aussi font les frais, sans s’en rendre compte, de pratiques inégalitaires. Par exemple, on remarque souvent que les temps de transmission entre l’équipe et les mères sont beaucoup plus longs qu’avec les pères », précise-t-elle. « Il peut aussi y avoir tout un travail de réaménagement de l’espace à prévoir dans les crèches. En effet, certaines structures ont encore une disposition qui amène une circulation différenciée des enfants, avec un coin poupée et dînette, et un autre consacré à la motricité et aux garages, par exemple », continue Sophie Collard.
Une posture professionnelle inégalitaire souvent peu conscientisée
En cause très souvent dans la persistance de ces inégalités genrées : les biais des professionnels. « Dans sa pratique, chacun vient avec son histoire et son éducation qui ont souvent été marquées par le mythe du progrès social, les assignations dans les codes sociaux faites aux petites filles et aux petits garçons, ainsi que le marketing et la marchandisation genrés », explique Maïté Dzudzevic, formatrice accompagnatrice pour Le Furet notamment. Une imprégnation telle que les professionnels n’ont souvent pas conscience qu’ils/elles la perpétuent sur les lieux d’accueil : « Souvent, les professionnels ont tendance à croire qu’ils sont plutôt épargnés par le sexisme ordinaire d’autant plus qu’ils évoluent au quotidien dans un environnement très féminin. Les formations agissent alors comme des vrais révélateurs. Même quand elles sont courtes, elles permettent aux professionnels de ‘mettre leurs lunettes du genre’ et d’avoir une réelle prise de conscience sur les inégalités filles-garçons. Cette prise de conscience est souvent le premier pas vers des pratiques plus égalitaires », continue-t-elle.
Stéphanie Verdier, directrice de la Crèche Vincent Auriol à Paris, l’a constaté elle-même. Dans sa structure, l’une des crèches pilotes du programme Épicènes, la formation, et plus particulièrement l’observation des pratiques, a été une révélation : « Elle nous a engagé à nous questionner sur notre rapport aux enfants, à nous interroger sur le pourquoi d’un surnom ou d’un compliment, à nous auto-corriger, à reformuler nos propos. Elle nous a aussi permis de repenser la manière dont nous nous adressions aux parents, d’identifier les évolutions nécessaires du lieu d’accueil, mais aussi des jeux et des livres mis à la disposition des tout-petits », explique-t-elle, tout en confessant que le travail introspectif engagé dans ce type de formation dépasse de loin le cadre professionnel. « Il nous interroge aussi sur nous-mêmes. J’ai un fils aujourd’hui âgé de 19 ans. Quand il venait à la crèche, il était toujours fasciné par un jupon en tulle, se déguisait toujours avec le même tutu et avec le même plaisir. Pourtant, je ne lui en ai jamais proposé un à la maison. Dans mon esprit, la question ne se posait même pas : cela ne se faisait pas ! », s’attriste-t-elle.
Et c’est justement parce que ces biais inconscients sont si profondément ancrés encore aujourd’hui, qu’il est nécessaire, pour de nombreux experts, d’aller beaucoup plus loin qu’une simple formation, a fortiori de deux jours, comme c’est aujourd’hui souvent le cas. « Une fois la formation terminée, les professionnelles se retrouvent parfois toutes seules dans leurs structures ou chez elles sans savoir comment mettre en place ce qu’elles ont appris. C’est pour cela que nous les encourageons à créer des réseaux, à organiser des événements ensemble, ou à organiser des groupes d’analyses de pratiques », étaye Maïté Dzudzevic, pour qui la démarche d’égalité doit s’inscrire dans le temps.
Former les professionnels… mais pas seulement !
Un avis partagé par Sophie Collard : en matière d’égalité filles-garçons, « il n’y a pas de boîte à outils magique. La construction de solutions repose sur la prise de conscience et l’expertise des professionnels en matière de petite enfance certes, mais chaque structure a ses particularités et ses équilibres qu’il est important d’observer et de diagnostiquer finement afin de mettre en place des aménagements et des pratiques personnalisés », rappelle-t-elle. Et de préciser qu’en fonction de ces observations, les professionnels peuvent favoriser différents projets ciblés : des ateliers de cuisine avec les papas pour faire rentrer les pères – plus volontiers – dans les espaces de jeu, un accès privilégié à certains jeux pour les petites filles s’il s’avère qu’elles participent moins aux activités moteurs (sur le principe de la pédagogie compensatoire, etc.).
Bref, une approche globale, parfois longue et chronophage, qui explique que depuis le lancement du programme Egalicrèche, seules 23 structures ont bénéficié de l’accompagnement complet d’une durée de deux ans. 23, c’est peu, mais les résultats sont là : « Dans ces crèches, les stéréotypes et les clichés se sont progressivement estompés à la faveur d’un accompagnement personnalisé de chaque enfant, prenant en compte sa singularité et sa personnalité », se félicite Sophie Collard. Sensibiliser les professionnels au long cours, c’est une chose mais pour favoriser un accueil et un développement des enfants réellement égalitaires, encore faut-il inclure les parents pleinement. En la matière, les exemples ne manquent pas : Artemisia propose aux structures qu’elle accompagne de créer des jeux avec les familles, à l’instar du Memory de l’égalité mettant en scène les parents dans différentes tâches du quotidien (passer l’aspirateur, faire la vaisselle…). La crèche Vincent Auriol, elle, a misé sur des ateliers de fabrication de jouets faits à partir de matériaux de récupération pour « aborder l’égalité filles-garçons différemment et montrer aux parents que le jeu peut transcender la question du genre », souligne Stéphanie Verdier. Et comme la sensibilisation des parents ne passe pas uniquement par les lieux d’accueil, Le Furet (notamment) a pensé des outils directement appropriables par les familles, comme son berceau de l’égalité, lancé dès 2017. « A l’époque, le berceau a surtout été exploité dans le milieu professionnel, mais au cours des deux dernières années, nous avons commencé à le faire circuler directement auprès des familles, qui peuvent l’emprunter, notamment via les centres sociaux ou culturels. Dans ce berceau, il y a des objets simples (un tapis sensoriel et sonore, une poupée des émotions aux masques changeants, des livres ciblés), mais ils sont de très bons leviers de médiation et de sensibilisation des parents aux préjugés », s’enthousiasme Rebecca Riess. Un outil tellement probant que le berceau de l’égalité, jusqu’ici conçu dans une acception large du terme (handicap, plurilinguisme, etc.), va être décliné dès ce printemps en berceau de l’égalité filles-garçons pour cibler spécifiquement les inégalités de genre. Une initiative mise au point par le Labo Genre du Furet, lui aussi lancé il y a peu pour favoriser une approche pluridisciplinaire de l’égalité filles-garçons dans les structures de la petite enfance.
Des initiatives fragiles face à la crise du secteur ?
Dix ans après le rapport de l’IGAS, ces efforts de sensibilisation permettent de faire bouger les lignes. « En 10 ans, les petits garçons vont de plus en plus vers la dînette et la cuisine, des activités traditionnellement genrées. Dans certaines crèches, ces jouets sont désormais utilisés à 50 % par les filles et à 50 % par les garçons », note Sophie Collard. Identiquement, « on observe désormais que les papas sont beaucoup plus investis dans les structures d’accueil. Leur implication n’est pas encore tout à fait la même que celle des mères, mais il y a un net progrès notamment en termes de présence lors des temps d’information, etc », constate la sociologue. Pour autant , l’heure n’est pas à l’emballement car non seulement le chemin pour arriver à une égalité filles-garçons est encore très long, mais la conjoncture n’est pas vraiment favorable aux avancées. En période de crise, la question des inégalités de genre n’est clairement pas prioritaire.
Sophie Collard le remarque du côté des partenaires : « La sensibilisation des collectivités territoriales et des élus est souvent extrêmement longue. Il faut parfois plus longtemps pour les convaincre que pour déployer l’action elle-même », constate-t-elle. Stéphanie Verdier, quant à elle, le constate sur le terrain. Dans sa crèche, « tous les professionnels ont très bien accueilli le programme Épicènes et nous voudrions vraiment passer à la vitesse supérieure. Mais aujourd’hui, on souffre. On s’accroche pour quand même organiser certains ateliers et garder les parents mobilisés, mais pour ce type de projet, il faut des bras, du personnel, et nous en manquons ! », s’attriste la directrice de crèche.
La crise du secteur portera-t-elle atteinte aux avancées en matière d’égalité de genres ? Rebecca Riess se veut optimiste. Certes la période est diff icile, mais des projets continuent à émerger, comme celui du CCAS de Grenoble qui vient de mettre en place un plan de formation à l’égalité filles-garçons dans une vingtaine de structures de la ville, à hauteur de 60 000 euros par an. « Ces questions continuent de monter en force. (…) Les acteurs de la petite enfance sont de plus en plus conscients que travailler sur les questions d’inégalités, dès ces tranches d’âges, c’est poser des jalons pour l’avenir et éviter une remédiation beaucoup plus difficile plus tard », conclut la directrice du Furet.
Cet article a été publié dans la lettre hebdo du 6 mars 2023
Véronique Deiller
PUBLIÉ LE 06 mars 2023
MIS À JOUR LE 08 octobre 2024