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Etude : le secteur associatif, bon élève de l’APP et de la réflexivité
Voici l’analyse et les commentaires du sociologue Pierre Moisset sur l’étude que nous avons menée sur les séances d’analyse de la pratique (APP) depuis qu’elles sont devenues obligatoires et encadrées par un décret en définissant les règles et intervenants. En résumé : les EAJE du secteur associatif jouent à fond la carte de la réflexivité de leurs pros sous tous les formats : APP, journées pédagogiques et réunions d’équipe. Dans le public c’est plus contrasté et on assiste à des évolutions contradictoires ; le secteur marchand est en voie d’amélioration, mais il partait d’assez bas .

Monique Busquet, psychomotricienne, formatrice, conférencière et intervenante en APP auprès d’équipes, a pu constater, avec d’autres intervenants, que l’accès à ces heures d’analyse de la pratique obligatoires depuis août 2021 ( voir le décret en encadré ci-dessous) avait pu se traduire, dans certains établissements et services, par la diminution de l’accès à des heures de réunion, des journées pédagogiques, etc. Aussi, en partenariat avec le site les Pros de la petite enfance, avons-nous lancé une étude par questionnaire auprès des professionnels d’EAJE, de fin janvier à fin février 2025, afin d’objectiver dans quelle mesure l’accès à ces 6 heures minimales annuelles avait bien eu lieu aux yeux des professionnels qui avaient assez d’ancienneté pour le mesurer, dans quels contextes, à quelles conditions l’accès à ces séances d’APP avait eu lieu et, enfin, à quel point les séances d’APP proposées correspondaient — aux yeux des professionnels — aux attendus du décret d’août 2021 lui-même.

Près de 2500 répondants : les pros de terrain bien représentés
Le questionnaire, diffusé sur une durée d’un mois environ, a reçu 2158 réponses exploitées dans cet article et les autres qui lui seront consacrés. Parmi les répondants, on trouve principalement des professionnels d’établissement du secteur public (47 %), environ 30 % de professionnels du secteur associatif et 20 % de professionnels du secteur marchand. 44 % environ des professionnels disent travailler en multi-accueil, 26 % en crèche, 16 % en micro-crèche PAJE et 5,4 % en micro-crèche PSU. On trouve ensuite, très marginalement, des professionnels de crèches parentales, familiales, de RPE et de halte-garderie.
Les professionnels de terrain sont bien représentés dans l’échantillon puisque l’on trouve 24 % d’accompagnant/assistant petite enfance/auxiliaire d’éveil ou de crèche, 30 % d’auxiliaires de puériculture, , 15 % d’EJE de terrain, et 29 % environ de directrices, responsables, coordinatrices, RSAI et EJE en continuité de direction, référence technique ou pédagogique.
Depuis 2021, en général, une argumentation du nombre d’heures d’APP
Quel effet a eu la publication du décret d’août 2021 ? Pour le savoir, nous avons posé plusieurs questions : pour les professionnels qui avaient suffisamment d’ancienneté, est-ce qu’ils avaient le sentiment que le nombre d’heures d’APP qui leur étaient proposées avait augmenté, était resté constant ou avait diminué depuis 2021 et quel était le nombre actuel d’heures de séances d’APP qui leur était proposé.
Concernant l’évolution du nombre d’heures d’APP depuis 2021, le constat le plus fréquent fait par les répondants est celui de l’augmentation (43 %) suivie du constat du maintien du même nombre d’heures (30 %). Remarquons que 20 % des répondants disent « ne pas savoir », par manque d’ancienneté dans leur poste actuel et, enfin, 6,4 % déclarent que le nombre d’heures d’APP aurait baissé depuis 2021.
Ce sont les professionnels du secteur public qui déclarent le plus fréquemment que le nombre d’heures d’APP a augmenté (46 % contre 43 % en moyenne), mais ce sont également eux qui déclarent plus fréquemment que le nombre d’heures d’APP a baissé depuis 2021 (8 % contre 6 % environ en moyenne).
Sur le statu quo, les professionnels des différents types de gestionnaires sont à peu près à égalité et sur le fait d’avoir plus d’heures d’APP qu’auparavant, les professionnels du secteur marchand et associatif sont à égalité (derrière ceux du public, donc) à 40 %.
Par contre, si l’on refait le même croisement de données en ne prenant en compte que les professionnels suffisamment anciens pour en poste pour répondre (donc sans les réponses « vous ne savez pas »), le constat est différent. Déjà, le constat de la hausse est plus fréquent en général : ce sont 55 % des professionnels en capacité de répondre à la question qui constatent une hausse du nombre d’heures d’APP. Puis, plus précisément, les professionnels du secteur marchand constatent un petit peu moins fréquemment que les autres cette augmentation (52 % contre 54 % en moyenne) et constatent un peu plus fréquemment un statu quo. Et ce sont toujours les professionnels du public qui disent, le plus fréquemment, que le nombre d’heures d’APP ont baissé.
APP : l’effet Matthieu* profite au secteur associatif
On ne peut conclure de suite que l’application du décret d’août 2021 serait à double sens (une baisse et une hausse parallèles) dans le public et un peu moins forte dans le secteur marchand. En effet, peut-être que certains établissements partaient, avant le décret d’août 2021, d’un nombre d’heures d’APP annuelles déjà supérieur à 6 heures et ont pu en « profiter » pour les baisser. De même, les professionnels qui constatent un statu quo sont peut-être plus fréquemment dans un établissement où ils bénéficiaient de 6 heures ou plus d’heures d’APP avant le décret.
Pour vérifier cela, croisons déjà les évolutions constatées depuis 2021 avec le nombre d’heures d’APP actuelles dont bénéficient les professionnels. Et pour commencer, comment se répartissent les répondants sur le nombre d’heures annuelles d’APP dont ils bénéficient au moment de répondre à l’enquête ? 7,7 % des répondants à la question disent n’avoir aucune heure d’APP, 35,4 % 6 heures ou moins dans l’année, 46,2 % entre 6 et 12 heures annuelles et, enfin, 10 % plus de 12 heures annuelles.
On constate, en effectuant le croisement entre évolution des APP et nombre actuelles d’heures d’APP que les professionnels qui déclarent que le nombre d’heures d’APP a baissé depuis 2021 répondent beaucoup plus fréquemment n’avoir que 6 heures ou moins d’APP annuelles (78 % contre 41 % en moyenne !) tandis que ceux qui déclarent que leur nombre d’heures d’APP est resté le même déclarent plus fréquemment avoir plus de 6 ou 12 heures d’APP annuelles (66 % contre 52 % en moyenne) et ceux qui déclarent que leur nombre d’heures d’APP a augmenté sont dans la moyenne concernant l’accès à 6 heures ou plus d’APP par an.
Donc, on a plutôt le sentiment que la baisse du nombre d’heures d’APP a eu lieu dans des établissements déjà peu dotés et a abouti à des situations de faible, voire de très faible accès à l’analyse de la pratique. Tandis que le statu quo est plutôt le cas d’établissements déjà bien, voire très bien dotés, et que l’augmentation a plus eu lieu dans des établissements qui, ainsi, ont pu se mettre en conformité avec le fait d’avoir, a minima, 6 heures annuelles d’APP. Pour voir plus clair dans ces différents phénomènes, nous avons créé une variable synthétique qui combine l’évolution des APP et le nombre actuel d’heures d’APP. Il en ressort six modalités : les professionnels qui ont constaté une baisse et ont un faible accès actuel (moins de 6 heures) 6,5 % de ceux qui ont répondu aux deux questions concernées, les professionnels qui ont constaté une baisse tout en ayant un fort accès (plus de 6 heures d’APP annuelles) 2 % environ, les professionnels qui ont constaté un statu quo et ont un faible accès (12 %), un statu quo et un fort accès (25 %), les professionnels qui ont constaté une augmentation, mais ont un faible accès (22 %) et, enfin, les professionnels qui ont constaté une augmentation et ont un fort accès aux APP (32 %). On observe donc, pour commencer, que les situations où une augmentation du nombre d’heures d’APP permet à peine de se mettre en conformité avec le décret d’août 2021 ne sont pas si rares (un cinquième des répondants concernés). Maintenant, comment se répartissent ces situations en fonction des différents gestionnaires : les professionnels du public constatent un peu plus fréquemment une baisse et un faible accès (7 % contre 6 en moyenne), tandis que les professionnels du secteur marchand sont les moins fréquemment dans cette situation (4 % environ). Le constat d’un statu quo et d’un faible accès est par contre plus fréquent chez les professionnels du secteur marchand 15 % contre 12 % en moyenne. Le constat d’un statu quo et d’un fort accès (il n’y a rien besoin de changer suite au décret de 2021) est plus fréquent chez les professionnels du secteur associatif (31 % contre 25 % en moyenne). Le fait de constater une hausse, mais d’avoir toujours un faible accès aux heures d’APP est plus fréquent chez les professionnels et du public et du secteur marchand (un peu plus de 23 %), contrairement aux professionnels du secteur associatif (18 %). Enfin, ces derniers constatent un peu plus fréquemment que les autres professionnels une hausse et un fort accès aux heures d’APP (34 % contre 31 %). Ce sont donc les professionnels du secteur associatif qui étaient et plus fréquemment les plus nantis avant 2021 (statu quo et fort accès) et qui ont plus fréquemment que les professionnels des autres gestionnaires connus des évolutions positives excédant les demandes du décret d’août 2021. Les professionnels du secteur marchand ont plus fréquemment connu des situations de statu quo ou de hausse débouchant tout de même sur un faible accès aux heures d’APP (avec la nuance à rappeler que ces deux situations regroupent 39 % des réponses de ces professionnels, tandis que 55 % d’entre eux constatent un statu quo ou une hausse et un fort accès aux heures d’APP). Enfin, les professionnels du secteur public sont un peu plus fréquemment marqués par des situations de baisse ou de hausse du nombre d’heures d’APP et de faible accès.
Donc, il semblerait que le secteur associatif était déjà mieux disant en termes d’accès aux heures d’APP et a bénéficié du décret de 2021 pour consolider cette position, tandis que le secteur marchand bien moins disant a semble-t-il fait des efforts, mais sans pouvoir fréquemment dépasser les standards minimums du décret de 2021 ; enfin, le secteur public semble être parti d’une même situationmoins-disante mais a connu une évolution contradictoire entre efforts pour se mettre à niveau minimum et dégradation de situations avec un faible accès aux heures d’APP.
*L’effet Matthieu : « à celui qui a on donne, et à celui qui a peu, on ôte »
Des conditions d’APP conformes aux attendus du décret
Nous avons également questionné les professionnels afin de savoir à quel point, à leurs yeux, les séances d’APP qui leur étaient proposées correspondaient aux attentes du décret d’août 2021, à savoir pour rappel : 2 heures tous les 4 mois, des groupes de professionnels de 15 maximum, un intervenant extérieur à la hiérarchie, un intervenant qui semble adapté et le respect de la confidentialité des échanges (les réponses proposées étaient, oui, non ou « vous ne savez pas »). Premier constat, concernant l’ensemble de ces critères, plus de 80 % des professionnels répondants les considèrent comme remplis. Que ce soit sur l’accès à des séances d’APP d’au moins 2 heures tous les 4 mois : 85 % contre 80 % en moyenne de réponses « oui », mais également pour l’accès à des groupes de pros de 15 maximum, 88 % contre 86 % en moyenne, ou l’accès à un intervenant extérieur à la hiérarchie, 91 % contre 88 % en moyenne, l’accès à un intervenant adapté 84 % dans le privé associatif contre 79 % en moyenne, mais encore pour le respect de la confidentialité des échanges, 85 % contre 81 % en moyenne et enfin le respect de la confidentialité des échanges, 86 % contre 82 % en moyenne. A noter que, l’ensemble de ces points, les professionnels du secteur public s’estiment plus fréquemment non satisfaits, souvent plus fréquemment que les professionnels du secteur marchand.
On a donc le sentiment que sur l’accès à des séances d’analyse de la pratique en quantité suffisante et de qualité suffisante (dans les termes du décret), les professionnels du secteur associatif sont plus favorisés, suivis des professionnels du secteur marchand dans une position plus médiane et suivis surtout des professionnels du secteur public qui sont touchés par des évolutions parfois négatives et sont moins fréquemment satisfaits (même s’ils restent majoritairement satisfaits) des séances d’APP qui leur sont proposées.
Les sujets les plus souvent abordés en APP
Nous avons cherché également à savoir quels usages et utilités les professionnels retiraient des séances d’APP. Leur permettaient-elles de parler des tensions entre professionnels, des tensions avec les parents, des questions par rapport aux enfants, de se sentir écoutés ou encore d’avoir de nouvelles pistes de travail.
Fort logiquement, aux yeux des professionnels, les séances d’APP auxquelles ils ont accès permettent d’évoquer des situations avec les enfants (pour 70 % des répondants « oui, tout à fait »). Vient après le fait de pouvoir évoquer des tensions avec les parents (58 % environ de « oui, tout à fait »), puis le fait de sentir écouté (50 %) et, enfin, le fait de pouvoir évoquer des tensions entre pros (36 % de oui, tout à fait). L’usage des séances d’APP est donc plutôt concentré sur les relations aux enfants et aux parents. Si l’on regarde maintenant comment ces différents usages des APP se répartissent en fonction des différents gestionnaires, on retrouve l’avantage des professionnels du secteur associatif qui répondent plus fréquemment « oui, tout à fait » sur ces quatre points. A contrario, les professionnels du secteur public répondent plus fréquemment « non » (pas vraiment ou pas du tout) sur ces quatre points. Ces professionnels confirment là leur plus mauvaise situation dans et l’accès à des séances d’APP et l’accès à des séances d’APP qui leur semblent utiles.
Pour compléter ces premières questions sur l’usage et l’utilité des séances d’APP, nous avons demandé aux professionnels quels étaient les sujets les plus fréquemment abordés en séances, avec comme liste de thèmes possibles : les relations avec les enfants, les relations avec les parents, les conditions matérielles de travail, les relations entre collègues, les relations avec le management, la direction. 36 % des répondants abordent uniquement ou principalement les questions relatives aux enfants et aux parents, 6 % n’abordent que des questions relatives aux enfants. Ce sont 13 % des professionnels qui abordent exclusivement ou principalement des questions relatives aux relations entre collègues/avec le management. On trouve ensuite tout un ensemble de combinaison de thèmes minoritaires (moins de 6 %), mais incluant pour la plupart des questions relatives à la direction et/ou aux relations avec les collègues.
Si l’on croise maintenant le gestionnaire des établissements avec les thèmes abordés en APP, on observe que les professionnels du secteur associatif abordent plus fréquemment « simplement » les questions relatives aux enfants et aux parents (43 % contre 38 % en moyenne), tandis que les professionnels du secteur public abordent plus fréquemment principalement des questions relatives aux relations entre collègues et au management (16 % contre moins de 12 % pour les professionnels des autres gestionnaires) et plus fréquemment les questions relatives aux enfants combinées avec des questions relatives au management (7 % contre moins de 4 % pour les autres professionnels). Enfin, les professionnels du secteur marchand abordent plus fréquemment les seules questions relatives aux enfants et à leur accueil (9 % contre 6,6 % en moyenne). Là encore, les professionnels du secteur public apparaissent dans une situation moins favorable au sens où leurs séances d’APP sont plus fréquemment occupées par des questions de relations entre collègues et au management et moins fréquemment par des questions en rapport avec les enfants et les parents. On peut mettre ce constat en rapport avec le fait que ces mêmes professionnels du public disent plus fréquemment que les autres que la confidentialité de leurs échanges en APP n’est pas respectée (10 % contre 8 % en moyenne) ou que leur intervenant n’est pas adapté (15 % contre 12 % en moyenne). On a le sentiment que ces professionnels du public travaillent dans un climat social plus lourd dont les thèmes abordés en séances d’APP sont le reflet. Un climat social lourd avec, plus fréquemment, une dégradation de l’accès aux séances d’APP et des séances d’APP ressenties plus fréquemment comme étant moins bien encadrées et protégées.
Les séances d’APP se font-elles au détriment d’autres réunions ?
Maintenant, intéressons-nous au fait de savoir si l’évolution de l’accès aux séances d’APP est liée avec un accès plus ou moins fréquent à d’autres types de réunion. C’est une de nos hypothèses, issue des observations de Monique Busquet : la mise en place des heures d’APP suite au décret de 2021 ce serait faite, dans certains établissements, par la diminution de l’accès à des heures de réunion ou des journées pédagogiques. Nous avons donc demandé aux répondants quels étaient le nombre d’heures de réunion mensuelle en équipe et le nombre de journées pédagogiques dont ils bénéficiaient par mois. 64 % des répondants disent avoir entre 1 et 2 heures de temps de réunion par mois, 19 % de 2 à 4 heures et, enfin, seuls 5 % disent avoir plus de 4 heures de réunion par mois. Concernant les journées pédagogiques : 11 % des répondants disent avoir à moins d’une journée pédagogique par an, 26 % accès à une seule journée annuelle, 35 % accès à deux journées pédagogiques et 26 % accès à plus de deux journées pédagogiques par an.
Si l’on croise le constat de l’augmentation/diminution ou constance des séances d’APP avec l’accès à d’autres temps de réunion plus ou moins importants dans les établissements, on ne peut pas conclure que le fait d’avoir plus de temps d’APP serait corrélé avec le fait d’avoir moins de temps de réunions en équipes durant le reste du temps. En effet, ce sont les professionnels qui disent que leur temps d’APP — depuis le décret de 2021 — a baissé qui disent plus fréquemment ne pas avoir du tout d’autres temps de réunion. Mais ce sont également ces professionnels qui déclarent plus fréquemment que les autres avoir 4 heures de réunion par mois (cette dernière différence étant très légère). Au final, les professionnels qui déclarent avoir moins de séances d’APP ne sont que 78 % à dire avoir, par ailleurs, entre 1 à 4 heures de réunions mensuelles contre 87 % des professionnels qui déclarent une hausse ou un maintien du nombre d’heures d’APP. On a donc le sentiment que la baisse du nombre d’heures d’APP est plutôt corrélé avec des contextes très tendus en termes d’accès à des temps de réflexivité et, plus minoritairement, à des contextes où les professionnels ont accès à de nombreuses heures de réunion.
Concernant les journées pédagogiques, on observe, encore plus clairement, le même phénomène : les professionnels qui déclarent une hausse de leurs séances d’APP déclarent plus fréquemment avoir accès à plus de deux journées pédagogiques par an, ceux qui déclarent un statu quo plus fréquemment un accès à une journée pédagogique et, enfin, les professionnels qui déclarent une baisse de l’accès à moins d’une journée pédagogique par an. Donc, contrairement à ce que l’on pensait, l’augmentation de l’accès aux séances d’APP c’est plutôt fait dans des établissements avec un fort accès à des temps de réflexivité et la diminution dans des établissements déjà démunis ou en peine pour accéder à ces temps de réflexivité.
Le secteur marchand en timide amélioration, le secteur public à la peine
Pour tenter de se faire une image globale du paysage que nous laisse le décret d’août 2021 et son application en termes d’accès à des temps de réflexivité et à leur qualité, nous avons construit une variable score combinant l’évolution du nombre d’heures d’APP, le nombre actuel d’heures d’APP, le fait que les séances d’APP correspondent bien aux critères de qualité donnés par le décret, le nombre d’heures de réunions hors APP, le nombre de journées pédagogiques par an. Plus les répondants ont un score haut et plus ils ont des temps de réflexivité importants, de qualité, ayant évolué à la hausse. Plus leur score est bas et… plus c’est l’inverse. Après recodage des résultats 5 % des répondants ont un accès très faible/dégradé (pas ou peu de temps de réunion hors APP, pas ou une seule journée pédagogique, une baisse ou statu quo des séances d’APP, six heures ou moins d’APP, des critères de qualité d’APP très partiellement remplis) aux temps de réflexivité, 7 % environ un accès faible, 23 % un accès « médiocre » (ou très moyen), 14 % un accès moyen, 23 % un accès élevé et, enfin 4 % un accès très élevé/favorisé.
Si l’on croise ensuite cette nouvelle variable avec les modes de gestion des établissements des répondants, il apparaît que ces derniers ne se différencient pas sur l’accès très faible/dégradé (sauf peut-être le public, mais très légèrement plus dans ce cas). Un accès faible est plus fréquent pour les professionnels du public et du privé lucratif (10 % ou plus contre 5 % pour les professionnels de l’associatif), un accès médiocre est bien plus fréquent chez les professionnels du secteur marchand (35 % contre 29 % en moyenne) alors qu’un accès moyen, élevé, voire très élevé, est plus fréquent pour les professionnels du secteur associatif. On voit donc bien se dessiner ce que l’on a touché du doigt à plusieurs reprises au cours de ces analyses : le décret d’août 2021 est venu jouer de manière contrastée dans le secteur public avec un ensemble minoritaire d’établissements où il n’a pas su, sur un premier contexte de pénurie d’accès à la réflexivité, parer à la baisse de l’accès aux séances d’APP ou leur maintien très bas ; face à cela, un ensemble plus important d’établissements qui sont restés dans une situation moyenne, voire favorisée. Le secteur marchand, quant à lui, semble avoir plus fréquemment amélioré sa situation, mais cela en partant de bas et en accédant à des niveaux médiocres, voire moyen de temps de réflexivité. Enfin, le secteur associatif, partant de situations déjà plus favorables, a plutôt conforté la qualité et le haut niveau de l’accès de ses professionnels à différents temps de réflexivité de qualité.
Une étude pour comprendre l’évolution de l’accès aux séances d’analyse de la pratique (APP) depuis le décret d’août 2021
Le décret du 30 août 2021 est venu, dans une perspective d’amélioration de la qualité d’accueil des jeunes enfants (déjà dans l’accueil collectif) enjoindre les différents gestionnaires d’EAJE de garantir, à minima, l’accès à six heures d’APP annuelles pour chacun de leurs professionnels. Ce quota minimum d’heures était accompagné des critères de qualité suivants :
« 2° les séances d’analyse de pratiques professionnelles se déroulent en-dehors de la présence des enfants ;
« 3° les séances d’analyse de pratiques professionnelles sont animées par un professionnel ayant une qualification définie par arrêté du ministre chargé de la famille ;
« 4° la personne qui anime les séances d’analyse des pratiques professionnelles n’appartient pas à l’équipe d’encadrement des enfants de l’établissement et n’a pas de lien hiérarchique avec ses membres. Elle peut être salariée du gestionnaire ou intervenant extérieur ;
« 5° les séances d’analyse de pratiques professionnelles ne peuvent rassembler des groupes de plus de quinze professionnels ;
« 6° les participants et l’animateur s’engagent à respecter la confidentialité des échanges. »
Pierre Moisset
PUBLIÉ LE 25 mars 2025