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Le think tank VersLeHaut formule 12 propositions pour créer un service public de l’éducation des 0-6 ans

Le think tank VersLeHaut, dédié à la jeunesse et à l’éducation, vient de publier une note consacrée, une fois n’est pas coutume, à la petite enfance. Stephan Lipiansky son auteur principal, observe et analyse – d’un regard extérieur au secteur – les besoins du jeune enfant pour grandir en confiance. Il constate les manquements du soutien à la parentalité, les difficultés des professionnels de la petite enfance, les limites de leur formation, s’interroge sur le manque de continuité éducative de 0 à 6 ans… Et formule 12 propositions ambitieuses qui bousculent le système, pour la création d’un service public de l’éducation du jeune enfant, afin de remettre l’éveil des tout-petits au cœur du système.

Fidèle à sa mission de réflexion autour des jeunes et de l’éducation, le think tank VersLeHaut – dont les publications et études concernaient jusqu’ici plutôt l’école et la jeunesse – s’intéresse aujourd’hui à l’éveil du jeune enfant. Dans sa dernière note de décryptage, publiée le 6 juin dernier, Stephan Lipiansky, son auteur principal, remonte « Aux origines de la confiance. L’éveil du jeune enfant au cœur d’une révolution éducative ». A ces âges où l’attention portée au jeune enfant, par ses parents et les professionnels de la petite enfance, doit lui offrir les conditions de développement moteur, langagier, cognitif, socio-émotionnel qui lui permettront de grandir « avec une confiance robuste en ses capacités de progrès et de réussite », explique-t-il. Mais « malgré une attention croissante ces dernières décennies, déplore Stephan Lipiansky, le jeune enfant se situe encore largement dans un angle mort de notre ambition éducative ». 

Un environnement sécure et des interactions de qualité

En s’appuyant sur les derniers travaux de recherche et études autour du jeune enfant, le think tank VersLeHaut prend le temps d’explorer ce qui se joue vraiment dans les trois premières années de l’enfant-explorateur, convaincu que ces premiers apprentissages fondamentaux « s’alimentent mutuellement pour paver la voie des suivants ». Il en retient qu’une « attention toute particulière semble devoir être portée à l’étude de l’environnement du jeune enfant et, en particulier, à la nature et la qualité des interactions et relations développées dans ses premières années de vie ». Et bien qu’il reconnaisse les qualités d’un accueil collectif en Eaje, Stephan Lipiansky estime « qu’un accueil prématuré hors de la famille – avant un an – nuit à la qualité de la relation entre l’enfant et ses parents et contribue à altérer son comportement ». Ainsi, précise-t-il, « avant un an, un accueil principalement familial semble préférable ». 

Un soutien à la parentalité insuffisant

Si les outils existent pour accompagner les parents dans leur rôle et leur quête d’équilibre entre vie professionnelle et familiale, nombreux sont ceux qui se sentent encore « trop seuls face à de multiples injonctions, souvent contradictoires ». Pour Stephan Lipiansky, si les jeunes parents reconnaissent leurs difficultés, les Français n’ont pas encore vraiment le réflexe de se tourner vers des structures spécialisées pour se faire aider. Et puis l’offre d’accompagnement à destination des familles est mal identifiée, leur financement encore limité et le secteur fragile.

Il propose donc 7 repères pour un soutien à la parentalité efficace :
–    Considérer les parents comme des partenaires à part entière dans la définition des services qui pourraient le plus leur bénéficier.
–    Faire du sur-mesure pour s’adapter aux besoins spécifiques de chaque famille.
–    Travailler dans une logique partenariale pour prendre en compte tous les types de besoins des familles.
–    Renforcer les liens des parents entre eux pour qu’ils s’entraident lorsqu’ils sont confrontés aux mêmes défis.
–    Multiplier les efforts pour impliquer davantage les pères qui sont sous-représentés dans les programmes sur la parentalité.
–    Traiter les problèmes qui touchent une part importante de personnes dans certaines catégories sociales et qui ont un impact sur la parentalité.
–    Développer les dispositifs adaptés aux différents milieux sociaux et culturels pour améliorer la participation des différentes familles.

Une trop grande diversité de métiers et de formations

En observant la petite enfance d’un œil extérieur, Stephan Lipiansky constate que le secteur pâtit d’une trop grande diversité de métiers, à la croisée de la santé et de l’éducation. Il estime que « l’éparpillement apparent de la galaxie des métiers de la petite enfance fait perdre de vue l’importance de la mission commune : accompagner le jeune enfant dans son développement ».  Décrit des métiers boudés, trop tournés vers le sanitaire, en perte d’attractivité, du fait des taux d’encadrement trop élevés, des conditions de travail dégradées et d’une véritable perte de sens pour ces professionnelles de la petite enfance, dont il devient urgent de revaloriser l’image. Enfin l’auteur constate des niveaux de formation très disparates parmi les professionnelles de la petite enfance, en décalage entre « le niveau de formation effectif des professionnelles de la petite enfance, les exigences réglementaires et le contenu des connaissances ».

12 propositions ambitieuses pour l’éducation du jeune enfant

Fruit de son analyse étayée de portraits d’initiatives remarquables, le think tank Vers Le Haut formule 12 propositions pour « Créer un service public de l’éducation du jeune enfant », que commente pour nous Stephan Lipiansky.

1. Accueillir les enfants de 1 à 6 ans au sein d’un même établissement

  • Créer au sein du Code de l’action sociale et des familles, des établissements d’éveil du jeune enfant rassemblant EAJE et classes maternelles, sous gestion publique ou associative, financés par les communes, la branche famille et le service public de l’éducation.

Stephan Lipiansky : « La rupture qui existe dans le segment de la petite enfance, à l’entrée en maternelle nous a interpellés. Il y a du sens à vouloir retrouver une forme d’unité sur le développement de l’enfant de 0 à 6 ans. Dans de nombreux pays, la véritable entrée à l’école se fait vers 6-7 ans. En France, on tend à précipiter l’entrée des enfants dans leur statut d’élève dès 3 ans, avec ce que cela suppose d’attendus et de respect des règles, dans une période qui appelle une certaine continuité et adaptation au rythme de chaque enfant (…) il y a aussi une rupture de culture entre les professionnels de la petite enfance et les enseignants à l’école (…) on aimerait que s’ouvre la possibilité d’avoir des établissements qui assureraient une transition plus douce entre ces deux univers, au moment où les enfants y sont le plus prêts. »

  • Rassembler les administrations centrales en charge de l’enfance (DGCS, DSS et DGESCO) au sein d’une direction d’administration centrale chargée du jeune enfant.

S.L : « C’est une déclinaison administrative de la même idée. L’éclatement des responsabilités complique les choses. (…)  Dépendre de directions différentes rend plus compliquée l’articulation entre les métiers. L’unité permettrait d’avoir une vision globale plus cohérente. » 

  • Confier au bloc communal l’organisation et la mise en œuvre du service public de l’éveil du jeune enfant, assorti d’une compétence d’évaluation et de prévention confiée aux services de protection maternelle et infantile des conseils départementaux.

S.L : « Le service public de la petite enfance tel qu’il est conçu aujourd’hui reste sur un schéma très centré sur les 0-3 ans. L’idée serait de l’étendre un peu au-delà pour y inclure l’étape suivante. »

2. Créer une véritable filière professionnelle d’éducation du jeune enfant

  • Développer une offre de formation professionnelle continue commune à tous les métiers de la petite enfance, accessibles aux ATSEM et aux professeurs des écoles maternelles.

S.L : « Certains professionnels souffrent d’un déficit de formation, d’autres sont trop tournés vers le sanitaire, les spécificités du développement du jeune enfant ne sont pas le cœur de métier des professeurs des écoles… Faciliter une culture commune par une base de formation commune et des espaces d’échanges entre professionnels de ces métiers autour de l’éveil du jeune enfant permettrait une forme de continuité ».

  • Créer un corps d’éducateurs de la petite enfance dans la fonction publique territoriale rassemblant assistantes maternelles, puéricultrices, éducatrices de jeunes enfants et ATSEM.
  • Créer un cadre juridique et administratif unique pour les métiers de la petite enfance afin de renforcer la formation et de mieux valoriser des professions aujourd’hui éparpillées entre santé, cohésion sociale et éducation.

S.L : « Cela pourrait être l’idée d’un seul métier et quelques spécialités. C’est aussi l’idée de garantir une forme de statut commun entre les professionnels, pour crédibiliser un certain nombre de métiers de l’éducation précaires, de les revaloriser pour attirer des profils qualifiés. »

3. Accompagner chaque enfant de manière personnalisée 

  • Renforcer les actions de détection précoce du handicap dans les EAJE au travers des schémas de services départementaux aux familles.
  • Renforcer l’encadrement pour favoriser les temps de réflexivité et d’échanges avec les parents, converger progressivement vers le taux de 1 pour 4 recommandé par la récente commission d’enquête parlementaire.

S.L « C’est peut-être optimiste de notre part mais une part de l’attractivité de ces métiers vient du sentiment de compétences et du sens donné à sa mission. Enrichir ces métiers en solidifiant leur statut, en soutenant les connaissances par la formation, en permettant des temps de réflexivité et de travail en équipe les rend plus attractifs et permet de retenir les professionnels. (…) il ne faut pas voir la revalorisation des métiers que par la question des salaires. » 

  • Rendre effective la visite médicale avant 6 ans en faisant appel aux professionnels de santé libéraux.

4. Déployer une offre éducative à destination des jeunes parents

  • Soutenir une offre associative de soutien aux parents au travers des contrats à impact social, favoriser les initiatives s’appuyant sur les espaces éducatifs existants (EAJE, maternelle, centres médicaux, RPE, LAEP, etc.)
  • Créer un guichet unique auprès des CAF permettant aux collectivités de mobiliser les crédits de la branche famille, de l’éducation nationale ainsi que les dotations d’équipements de l’Etat.
  • Déployer la prévention et la médiation familiale, notamment dans le cadre des LAEP et des « maisons des familles ».

S.L : « A l’heure actuelle, ces initiatives de soutien à la parentalité sont encore mal connues des familles. Les parents ne savent pas à qui s’adresser pour obtenir un soutien et il y a encore en France une forme de tabou sur cet accompagnement. Ce n’est pas vraiment notre culture française. (…)  Il y a un manque de lisibilité. L’effort de labellisation de ces initiatives est encore limité. La CAF pourrait plus facilement centraliser et piloter une offre lisible, relayée par les acteurs auxquels les parents ont à faire au quotidien ». 

Télécharger la note « Aux origines de la confiance. L’éveil du jeune enfant au cœur d’une révolution éducative » du think tank VersLeHaut. 

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Laurence Yème

PUBLIÉ LE 06 juin 2024

MIS À JOUR LE 07 juin 2024

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