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Prévention du harcèlement scolaire : les crèches de Saint-Ouen testent la méthode danoise « Fri For Mobberi »

Dès janvier 2024, les 3 crèches municipales de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) vont tester le programme danois Fri For Mobberi (libéré du harcèlement), avec pour objectif de prévenir le harcèlement scolaire dès le plus jeune âge. Une méthode déjà expérimentée depuis la rentrée 2022 dans les écoles maternelles de la Cité Educative de la ville. 


Pour rappel, le 27 septembre dernier, la Première ministre Elisabeth Borne a présenté le plan interministériel de lutte contre le harcèlement scolaire, une des priorités du gouvernement. Dans le cadre de celui-ci, le ministre de l’Education nationale, Gabriel Attal, a annoncé la mise en place de cours d’empathie dans les écoles, inspirés du programme « Fri For Mobberi » utilisée depuis une quinzaine d’années au Danemark. Avec, dans un premier temps, en janvier 2024, une école pilote par département, et, dans un second temps, à la rentrée 2024, une généralisation de ces cours à toutes les écoles. Une méthode déjà expérimentée dans des écoles maternelles françaises et bientôt dans certaines crèches.
 

60% des crèches au Danemark appliquent Fri For Mobberi

C’est en 2005 que le programme Fri For Mobberi est apparu au Danemark. Porté par Save the Children Danemark et la Fondation Mary, il est prévu pour les 0-9 ans. « Le principe, explique Margot Neuvialle, coordinatrice du programme Vivre Ensemble – Fri For Mobberi, est que pour prévenir le harcèlement scolaire, il faut que les enfants apprennent à bien vivre ensemble, qu’ils développent de bonnes connaissances psychosociales. Pour cela, il faut travailler à la dynamique de groupe entre les enfants, mais aussi entre adultes, c’est-à-dire entre professionnels, et entre professionnels et parents. » Et continue : « C’est un programme qui se veut assez systémique dans le public visé, ce n’est pas seulement pour les enfants, mais pour toute la communauté éducative. D’où l’intérêt de le faire en crèche ». Aujourd’hui, la méthode n’est nullement obligatoire au Danemark, mais 60% des crèches, 62% des écoles maternelles et 45% des écoles élémentaires ont fait le choix de l’appliquer.

Une diminution conséquente du harcèlement scolaire au Danemark

Certes, il est difficile de savoir si la baisse constatée du harcèlement scolaire au Danemark est due ou non au programme Fri For Mobberi, mais il n’en demeure pas moins que les résultats sont là. Il est en effet passé, pour les élèves de 11 à 15 ans, de 25% en 1998 à 7% en 2014. Pour autant, concernant le développement des compétences psychosociales, une étude a montré que l’indice d’empathie est plus élevé chez les élèves qui fréquentent les établissements utilisant la méthode Fri For Mobberi, qu’ils arrivent à mieux gérer les conflits par eux-mêmes et à développer leur esprit d’équipe. 

En France, la Fédération de Paris de la Ligue de l’Enseignement déploie Fri For Mobberi

Ce n’est pas seulement au Danemark que l’on retrouve ce programme. Des pays comme l’Islande, la Roumanie ou l’Estonie (parmi d’autres) l’ont aussi adopté. Et certains établissements en France sont donc en train de l’expérimenter, via la Fédération de Paris de la Ligue de l’Enseignement qui a acquis les droits pour le développer sur notre territoire. A noter : ce programme est soutenu financièrement par l’ARS Ile-de-France et les Cités Educatives. « Nous sommes en partenariat avec les deux ONG danoises avec qui nous sommes en contact régulièrement. Tous les ans, se tient un séminaire puisque c’est un programme que l’on accompagne de la recherche, où l’on échange autour de thématiques, sur les derniers résultats de recherche, sur les difficultés que l’on peut rencontrer pour qu’il y ait une dynamique internationale en termes de prévention primaire du harcèlement scolaire », précise Margot Neuvialle. 

Deux territoires pilotes en France : Saint-Ouen et Paris 18e

Un premier projet a débuté en 2022 – il se poursuit cette année – dans l’ensemble des écoles maternelles de la Cité Educative de Saint-Ouen et, à Paris 18e, dans 9 maternelles de la Cité Educative. En janvier 2024, ce sera au tour de certaines crèches de ces mêmes villes d’expérimenter le programme. « Il y a 3 mallettes dans le programme qui sont différenciées : une pour les crèches, une pour les maternelles, une pour les élémentaires », explicite Margot Neuvialle. Pour l’heure, la mallette pour les élémentaires n’a pas encore été traduite. « On prend au moins un an pour faire une adaptation culturelle, aux mœurs et au système français, détaille-t-elle encore. On l’adapte une première fois, on forme les professionnels, on leur donne les outils… puis Thomas Villemonteix (ndlr : psychologue clinicien et maître de conférences à l’université Paris 8, qui assure l’évaluation scientifique du programme en France) mène une enquête pour voir si cela correspond bien aux professionnels, si des améliorations sont nécessaires… car l’idée, c’est que les professionnels se saisissent de cet outil. Nous en sommes aujourd’hui à la 2e version pour les maternelles et à la première version pour les crèches. »

Une journée pédagogique à destination des professionnels de la petite enfance

Une journée de formation de 6 heures sera dispensée en janvier 2024 aux professionnels de la petite enfance des crèches de Saint-Ouen et de Paris 18e engagés dans l’expérimentation. Elle comprend 3 volets.

  • Le premier est une présentation de la théorie sur le harcèlement scolaire. « Fri For Mobberi, c’est un programme qui voit le harcèlement comme un phénomène de groupe et pas comme un phénomène individuel (…) C’est beaucoup le contexte et le groupe qui définissent les rôles des enfants dans ces situations-là. Aussi, l’idée est de faire prendre conscience aux professionnels de l’importance de travailler sur cette dynamique de groupe dès que les enfants socialisent », spécifie Margot Neuvialle.
  • Le deuxième volet concerne le rôle de l’adulte. « Les professionnels sont des modèles pour les enfants. On est beaucoup dans l’imitation chez les petits. C’est donc important que les adultes entre eux ou vis-à-vis des enfants s’expriment correctement », souligne la coordinatrice du programme Vivre Ensemble – Fri For Mobberi.
  • Le troisième volet porte sur la coéducation avec les parents. « C’est important à la crèche, comme à l’école d’ailleurs, que l’on ait des visions qui aillent dans le même sens avec les parents pour que l’enfant ne se retrouve pas en dissonance et qu’il ait à choisir entre la vision de la crèche ou de l’école et la vision des parents à la maison. D’où la nécessité d’être dans une communication positive avec les parents », indique-t-elle également. Enfin, lors de ce temps de formation des livrets d’activités (jeux sensoriels, comptines…) seront présentés aux professionnels.

La mallette et un accompagnement par des animateurs 

Une mallette Fri For Mobberi est mise à disposition de chaque établissement. Elle contient un guide sur la théorie du harcèlement scolaire et la posture de l’adulte, un livret d’activités, des posters (sur les émotions, des situations vécues à la crèche…) et, pour les parents, une lettre d’information sur le programme, avec quelques conseils (ex : ne pas parler mal d’autres familles de la crèche lorsque l’on est chez soi, car si les enfants entendent, cela peut avoir un impact sur la dynamique de groupe selon Margot Neuvialle). Mais aussi une peluche « l’ami Ours » que l’on retrouve d’ailleurs dans les mallettes pour les plus grands, permettant ainsi une certaine continuité éducative. « Son rôle, c’est d’être symbole de tolérance, de respect, de bienveillance, de courage, les 4 valeurs véhiculées dans ce programme », précise Margot Neuvialle. Et poursuit : « il doit être accessible à tous les enfants, qu’ils puissent l’utiliser quand ils ne se sentent pas bien ou pour donner à un camarade qui pleure, par exemple. » Et pour accompagner au mieux les professionnels de la petite enfance, des formateurs interviendront lors de temps d’activités avec les enfants. Des séances où seront notamment abordées les émotions.

La directrice petite enfance et parentalité de Saint-Ouen enthousiaste

Si le programme ne commencera effectivement que début 2024, Hélène Malpot, directrice petite enfance et parentalité à Saint-Ouen, a d’ores et déjà rencontré les responsables du projet, dont Margot Neuvialle. Quelque peu dubitative au tout début quant à l’intérêt du programme pour les 0-3 ans, les explications avancées, et exemples concrets présentés, lors de cette rencontre ont finalement persuadé Hélène Malpot de sa pertinence : « C’est vrai qu’il y a des comportements sociaux que l’on voit en crèche avec des enfants qui peuvent être exclus, ostracisés. On peut parfois en effet entendre chez les grands : ‘je ne veux pas jouer avec toi’, ‘tu n’es pas gentil’, ‘tu n’es pas ma copine’… Et de l’autre côté de la balance, on voit des enfants capables d’empathie, capables d’aller chercher des tétines et des doudous pour leurs congénères quand ils en ont besoin ». Ce qui a aussi séduit Hélène Malpot, c’est la continuité du projet. « On parle souvent de projet passerelle. Or, cela se résume souvent à la visite d’une classe de maternelle. Là, cela a du sens car il y a un fil éducatif sur la ville », souligne-t-elle. Et de conclure : « C’est vrai que le harcèlement scolaire est un sujet d’actualité, mais ce n’est pas tant ça notre moteur qu’une méthode réfléchie de manière globale, portée par des personnes qui l’ont déjà utilisée, qui ont la conviction que cela fonctionne, avec des outils qui ne sont pas révolutionnaires mais adaptés aux circonstances et qui ont une acuité sur une manière de vivre ensemble à la crèche. Je trouve qu’il y a une finesse dans l’approche vraiment intéressante. (…) Cela va permettre de développer des postures réflexives chez les professionnels et de nourrir leur pratique ».

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Caroline Feufeu

PUBLIÉ LE 09 octobre 2023

MIS À JOUR LE 31 juillet 2024

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