S’abonner
Espace
Abonnés

Revalorisations salariales des professionnels de la petite enfance : où en est-on ?

La question des revalorisations salariales des professionnels du secteur de la petite enfance est l’une des plus sensibles du moment. Elle concentre les impatiences et insatisfactions des pros, alors qu’on sait que la voie choisie par le gouvernement sera certes pérenne, mais plus longue. Mercredi dernier, Aude Muscatelli, l’inspectrice générale missionnée, accompagnée des partenaires sociaux, a présenté au ministre Jean-Christophe Combe le fruit de leurs travaux. Un bon point de départ, mais reste encore  beaucoup de chemin à parcourir. Le mercredi14 juin, le bureau du Comité de filière petite enfance devait décider s’il convient de rendre publics ou non les premiers engagements pris, mais ce sera finalement le jeudi 22 juin, qu’il devrait se prononcer. On fait le point.

Rappel des conditions du gouvernement

Le 22 septembre 2022, Jean-Christophe Combe avait annoncé devant le Comité de filière la voie choisie par le gouvernement pour traiter des rémunérations des professionnels. Il avait d’emblée écarté l’idée d’une prime forfaitaire (de type prime Ségur) mais avait annoncé que : « L’État (…) sera prêt à accompagner financièrement des revalorisations salariales, en cohérence avec notre ambition de création du service universel d’accueil du jeune enfant sous réserve de plusieurs conditions préalables. »
Parmi les conditions détaillées, la nécessité que les partenaires sociaux concluent des accords pour définir les modalités des augmentations de salaires. Ces accords devant prévoir la définition et la description d’emplois types correspondant aux différents métiers du secteur et communes à toutes les branches concernées, l’établissement au plus tard à la fin de la COG (2027) pour chaque emploi type d’un salaire net d’entrée aligné sur la salaire le plus favorable de l’ensemble des banches concernées et l’engagement à conduire une négociation destinée à faire progresser la qualité de vie au travail des pros et à favoriser la continuité des droits pour les professionnels même si, changeant de postes, ils changent de gestionnaires et de convention collective !
Enfin, dernier point et pas des moindres : l’État demandera des garanties fortes quant à la répercussion effective de son soutien financier sur les rémunérations des professionnels.

Une mission IGAS pour encadrer les négociations

C’est début décembre, qu’à la demande de la CFDT, il a été acté par le Comité de filière petite enfance sous certaines conditions que la revalorisation salariale des professionnels du secteur se fasse dans le cadre d’une négociation tripartite et que l’État en soit partie prenante et arbitre des négociations. C’est pourquoi début décembre, le ministre des Solidarités a envoyé à l’IGAS une lettre de mission dans laquelle il demande qu’un inspecteur général soit désigné pour encadrer les négociations demandées. Après avoir rappelé le contexte, il est précisé que l’inspecteur général désigné (ce fut une inspectrice générale, Aude Muscatelli, ex directrice adjointe du cabinet d’Agnès Buzyn notamment) sera en charge de coordonner les travaux du groupe de travail dédié au sein du Comité de filière et que sa mission durera au maximum 6 mois. Il lui demande « d’assurer l’animation et la coordination des travaux de définition du socle commun des professionnels de la petite enfance. » Le Ministre demande une liste complète des types d’emploi du secteur, un comptage des professionnels y exerçant et une évaluation « du montant global des conséquences financières des accords susceptibles d’être passés sur la base du projet de socle commun résultant des travaux. »

6 mois de travaux difficiles et inachevés

La mission d’Aude Muscatelli s’achève mais le travail demandé s’arrête à mi-chemin. Une mission qui n’a pas été un long fleuve tranquille. D’abord, parce qu’il n’y a pas moins de 9 conventions collectives dans le secteur, que 70 000 salariés ne dépendent d’aucune convention collective car leurs emplois n’y figurent pas et que même quand ils sont mentionnés dans leur convention collective, ils sont minoritaires. Excepté dans la CC Alifsa où ils représentent 54% des emplois. Ce sont essentiellement une partie des salariés du privé commercial (privé lucratif et privé coopératif) qui ne sont couverts par aucune convention collective. Ce qui a pour conséquence, une entrée dans la filière qui se fait souvent au SMIC. Néanmoins il y a des accords d’entreprise qui, dans un contexte très concurrentiel étant donné la pénurie de professionnels, peuvent améliorer la situation, mais ils ne sont pas publics et il n’y a aucune visibilité dessus. Dans le public et secteur associatif, c’est beaucoup plus clair. Toutefois, l’un des premiers constats a été de relever qu’il y avait de vraies faiblesses dans l’architecture de banche. Et cette hétérogénéité du secteur explique que tout a été long et plus long que prévu et que les objectifs de la mission n’aient pu complétement être atteints.
Ensuite, les différents acteurs avaient peu l’habitude de travailler sur ces questions ensemble. Il y eut au départ comme une petite réticence à travailler dans un cadre commun. Mais petit à petit le positionnement de chacun a évolué et le groupe de travail a pu avancer. Même si demeure une certaine frilosité à toucher à l’architecture de la branche… car quand on touche à une catégorie, comme par un effet de domino, on touche à d’autres catégories. Pas simple !

Le document d’engagements pour la création d’un socle commun en faveur des professionnels de l’accueil du jeune enfant

Ce document d’engagements constitue donc une première étape. Pour l’heure, il n’est pas diffusé, le bureau du Comité de filière devait lors de sa réunion de mercredi 14 juin donner son feu vert pour qu’il le soit. C’est ce que prévoit le règlement intérieur du Comité de filière. Mais animé par d’autres débats (accord de méthode et avis sur l’article 10 du projet de loi sur le plein emploi), il n’a pas eu le loisir de procéder au vote. Il faudra attendre une nouvelle réunion de bureau, le jeudi 22 juin.
Néanmoins, on sait d’ores et déjà qu’il devrait comporter une partie « constat » (voir ci-dessus) et quelques engagements comme celui de poursuivre les travaux pour atteindre ce que le ministre avait demandé. A savoir : déterminer les intitulés des emplois type et définir le socle commun du contenu desdits emplois ; trouver des points de convergence sur les salaires d’entrée et établir un calendrier pour atteindre cette harmonisation ; travailler sur les parcours professionnels, et la continuité des droits des salariés.
Mais bien sûr, en parallèle, ce document d’engagements ne devrait pas omettre de rappeler que les partenaires attendent un accompagnement financier de l’État qui, selon eux, devrait compenser intégralement les revalorisations salariales décidées par les branches.
Dans le document d’engagements, demeurent signalées, semble-t-il, quelques divergences encore. Certains demandant l’octroi d’une prime forfaitaire pour tous les professionnels de l’accueil collectif et individuel dès 2024 entièrement financée par l’État. Certains souhaitant négocier des accords de reprises d’expérience professionnelle entre branches pour favoriser les mobilités et d’autres pas.
Six mois de travaux en huit réunions… Tout ça pour ça ! pourrait-on dire tant tout semble encore très général et loin des revalorisations salariales tant attendues ! Mais il faut probablement se raccrocher à ce qui a présidé à cette façon d’envisager cette question des rémunérations. C’est long mais c’est un vrai travail de fond, constructif et pérenne qui devrait vraiment renforcer la filière petite enfance et son attractivité. En tout cas, on peut essayer d’y croire !

Tous les partenaires n’ont pas signé ce document. C’est le cas de la CGT. Son représentant Stéphane Fustec s’en explique : « Nous ne sommes pas signataires du document car il ne nous semble pas assez fléché, il est assez imprécis. Nous ne souhaitons donc pas pour l’instant nous engager. Nous attendons des précisions sur la somme allouée pour les rémunérations et aussi l’équilibre qui sera trouvé pour les services publics puisqu’en l’occurrence les travaux ont porté surtout sur le lucratif et pas du tout sur le secteur public. Nous avons besoin d’avoir une vision plus globale et plus précise avant de nous prononcer. On espère qu’on va arriver à des choses concrètes parce que pour l’instant les échéances qui nous sont annoncées semblent assez lointaines et éloignées des attentes des professionnels qui sont fortes. C’est un document qui n’a pas fait l’unanimité. »
La FFEC qui est signataire comme la plupart des partenaires (Fedesap, Fesp, Elifsa, Fepem, Fehap, CFTC, CFDT par exemple), par la voix d’Elsa Hervy, sa déléguée générale commente : « On a signé par cohérence, on ne peut pas demander à l’Etat les moyens supplémentaires pour mieux payer nos salariés sans nous engager à mieux rémunérer nos salariés. »

Le ministre satisfait mais attend plus

Mercredi 7 juin en fin d’après-midi, Jean-Christophe Combe a donc reçu Aude Muscatelli et les partenaires sociaux signataires du document « d’engagements pour la création d’un socle commun en faveur des professionnels du jeune enfant » qui leur a exposé le fruit des travaux menés depuis six mois. Deux jours plus tard, dans un post LinkedIn, le ministre a rappelé sa demande : « Restaurer l’attractivité des métiers de la petite enfance est une composante essentielle du nouveau service public que nous allons construire.  Mieux tenir compte des métiers de la petite enfance dans les sept conventions collectives couvrant les professionnels de la petite enfance est selon moi la meilleure méthode pour améliorer durablement et équitablement leurs rémunérations et leurs conditions de travail.   C’est pourquoi j’ai posé l’élaboration d’un socle social commun à tous ces métiers comme contrepartie d’un accompagnement financier de revalorisations salariales dans le secteur. » Et a pris acte et salué leurs travaux en ces termes : « (…) Les partenaires sociaux m’ont présenté hier l’avancement de leurs travaux, conduits depuis le début de l’année dans le cadre du comité de filière « Petite enfance ».   Je me réjouis que des engagements nouveaux et significatifs aient été mis sur la table par les organisations représentatives volontaires pour participer à cette démarche.   Mes services sont mobilisés pour étudier ces premières propositions et permettre d’y apporter une réponse dans les meilleurs délais.  Parallèlement, j’appelle de mes vœux une finalisation rapide des travaux : rédaction des emplois-types, dénombrement des personnels concernés, et couverture effective de tous les professionnels via la classification de leur emploi me semblent être les prochaines étapes à franchir. »
Ce que l’on pourrait traduire : c’est bien, vous avez avancé mais ce n’est pas fini. J’attends plus et vite.

Et maintenant ? Au Comité de filière de poursuivre

La mission d’appui d’Aude Muscatelli est terminée, mais probablement que pour poursuivre ses travaux le Comité de filière aura besoin encore d’un soutien logistique (nul ne sait encore la forme qu’il prendra) selon un calendrier que le document d’engagements a envisagé avec trois dates butoir : fin 2023, fin 2024 et fin 2026. Premier impératif : déterminer les points de convergence (choix du salaire d’entrée de grille) et l’accord de méthode (comment y parvenir). Deuxième échéance : les accords concernant la qualité de vie et conditions de travail (QVCT). Dernière étape : alignement des salaires minimums d’entrée de grille des emplois dans les EAJE. Idem pour les emplois d’accueil individuel hors assistantes maternelles.
De leur côté, le ministère et la Cnaf semblent prêts. Ils ont anticipé et provisionné les aides à la revalorisation qui seront octroyées au fur et à mesure que les accords de branche seront signés. Ce qui veut dite que les professionnels n’auront pas tous à attendre fin 2026 pour voir leur bulletin de salaire évoluer.

Peggy Alonso, présidente de l’ANPDE : « Nous pensons que les puéricultrices ont toute leur place dans les EAJE »

Mobilisation du 6 juin : Pas de bébés à la consigne, déçu de ne pas avoir été reçu par le ministre

Florian Cattouillart : EJE de père en fils

Tom et Josette : l’accueil intergénérationnel repensé !

Vous avez envie de lire la suite ?

Abonnez-vous dès maintenant

Catherine Lelièvre

PUBLIÉ LE 13 juin 2023

MIS À JOUR LE 14 juin 2024

Ajouter aux favoris