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Revalorisations salariales des pros du secteur : ces gestionnaires qui ruent dans les brancards

Voilà un communiqué qui pourrait relancer les tensions ! Une sorte de déclaration de guerre au ministre et à ses services. En question, le soutien de l’État aux revalorisations salariales des pros du secteur : plus de 200 millions par an tout de même ! Un effort sans précédent. Mais pour les auteurs de cette prise de position, ce n’est ni suffisant ni équitablement réparti.

Le communiqué diffusé dans l’après-midi de vendredi est intitulé : « Petite enfance : inquiétude des acteurs de la filière sur le financement de la revalorisation des salaires ». Il regrette et réfute les propos du ministre sur les revalorisations salariales. Avec une argumentation pas toujours très claire voire un tantinet confuse (rançon d’un communiqué écrit à 8 mains !) mais des revendications en revanche très claires : l’Etat doit payer ! Sous-entendu : et si les salariés râlent, c’est lui qui doit porter le chapeau. Et tous les acteurs doivent pouvoir bénéficier, au même moment, de son soutien financier.

Une salve de reproches et une série d’inquiétudes

1/ Les signataires, 8 gestionnaires privés associatifs et privés du secteur marchand* (une fois n’est pas coutume !), membres ou pas du Comité de filière petite enfance, demandent d’une même voix que l’État finance non pas deux tiers comme annoncé mais 100% des revalorisations salariales. « Nos organisations déplorent l’absence d’un financement intégral par l’État », assènent-ils. Et ils argumentent : « Qui pourra financer le tiers restant ? Certainement pas les crèches, la plupart étant déjà̀ dans une situation de grandes difficultés financières. Pour le second financeur que sont les communes : le poids sera bien trop important pour nombre d’entre elles. »
2/ Ils contestent (sans la citer) que la convention collective ALISFA (50% des crèches associatives), désignée par le ministre comme la bonne élève, soit la mieux-disante pour tous les emplois. Selon eux, cela dépend des emplois, et ils envisagent même en fin de communiqué que l’étude du mieux-disant soit réalisée emploi par emploi.
3/ Ils s’insurgent : « la mise en place d’un système à deux vitesses n’est acceptable ni pour nos organisations, ni pour nos professionnels, en ce qu’il privilégie certains acteurs de la Petite Enfance, qui bénéficieront dès le 1er janvier 2024 des financements, au détriment d’autres ». En clair, ils trouvent déloyal que dès 2024, les crèches associatives gérées par l’Acepp (adhérente d’Elisfa) puissent revaloriser leurs salariés avec le soutien de l’État et pas eux.
4/ Ils vivent cela comme une injustice particulièrement préjudiciable en cette période de pénurie de professionnels. Ils craignent la fuite de leurs salariés.
5/ Ils considèrent aussi que la méthode annoncée par Jean-Christophe Combe n’a pas été totalement respectée. Et que le ministre a brûlé les étapes. Ils auraient souhaité que l’accord de convergence sur les grilles de salaire ait été signé et que l’identification des grilles d’emploi les mieux disantes aient été choisies par les partenaires sociaux. Bref, cette « désignation unilatérale » du gentil vs les méchants leur paraît insupportable.
Néanmoins ils regrettent aussi de devoir, pour être accompagnés dans les revalorisations, « au préalable signer des accords de branche ».
6/ Et ils ne manquent pas de faire référence à la façon dont cette enveloppe de 200 millions d’euros annuels et le volet qualité du SPPE ont été annoncés dans la presse avant même qu’ils n’en soient informés.

Enfin, ils concluent leur communiqué en réitérant leurs revendications. « Nos organisations demandent d’une part à ce que l’Etat prenne en charge 100% de cette revalorisation et non les deux tiers, et d’autre part à ce qu’un travail entre nos organisations soit mis en place pour définir la convention la mieux-disante par emploi. »

Les règles du jeu étaient claires depuis septembre 2022

Chacun depuis septembre 2022 avait été prévenu des règles du jeu par le ministre lui-même. Le ministre les avait expliquées devant le Comité de filière. Enfin, pour rappel, pendant six mois, le Comité de filière accompagné d’Aude Muscatelli, IGAS, a travaillé sur le sujet et à peu près tous les auteurs du communiqué ont signé une lettre d’engagement remise au ministre début juin.

Il est vrai que le ministre leur a un peu forcé la main en annonçant que dès 2024, certains pros (ceux dépendant de la CCN ALISFA) pourront bénéficier d’une revalorisation subventionnée aux deux tiers par l’Etat. Une façon de leur mettre la pression pour que fin 2023 un accord de convergence soit signé. Ensuite, à chacun de faire le job dans le cadre de sa branche.

Pourquoi ils ont signé ce communiqué

La liste des signataires nous a interpellé. Nous en avons interrogé quelques gestionnaires pour connaître leurs motivations. Et finalement, s’ils ont tous signé, ils ne l’ont pas tous fait pour les mêmes raisons, mais se sont laissés embarqués sur l’ensemble. Les uns accros au 100% de prise en charge par l’État, les autres moins. Ce qui les as réunis : la même frustration de ne pas être assez considérés, que la méthode n’ait pas été respectée à la lettre et d’être mis en difficulté.
Elsa Hervy, déléguée générale de la FFEC (Ndlr : la convention collective de ses adhérents étant particulièrement pauvre) est catégorique : « La FFEC s’est associée à ce communiqué parce que la mise en place d’un système à deux vitesses nous parait inacceptable d’abord pour nos professionnels. Il nous reste 5 mois – c’est très peu – pour que le système de revalorisation soit en place pour tous les professionnels en janvier 2024. »

Céline Legrain, présidente de la FNAPPE, assume : « Les communes nous financent de moins en moins. Qui va pouvoir payer le tiers restant ? Rien n’est clair : qui finance quoi ? Qui finance qui ? Le gouvernement ne fait pas de différence entre les associatifs et les privés lucratifs. Ce communiqué est un point d’alerte pour plus de clarté. Et surtout  pour établir une base commune avec les crèches municipales qui font, côté salaire, concurrence aux crèches associatives. C’est le cas à Paris, dans toute la région Ile-de-France mais aussi à Lyon par exemple. Par ailleurs Alifsa est sans doute la référence pour les salaires de base mais pas pour tous les postes. »

Laurence Jacquon, représentante de la présidence de l’USB Domicile (ADMR), explique :« Nous nous sommes associés à cette démarche car les annonces faites par le ministre le 29 juin dernier ne correspondent pas à la lettre d’engagement commune signée à l’issue des travaux menés par l’IGAS. Si nous partageons avec le ministre l’objectif d’améliorer les rémunérations des salariés de la petite enfance, il nous apparait que la première étape consiste à prendre en charge le financement des mesures salariales déjà négociées (avenant 43 de notre Branche de l’Aide à Domicile). »

Ce qu’ils en pensent

Interrogé par nos soins, le ministère réagit : « Parce que restaurer l’attractivité des métiers de la petite enfance est une condition de réussite du SPPE, le ministère a été au rendez-vous des circonstances : en acceptant de participer au financement de revalorisations ; en posant dès septembre ses conditions, à commencer par la construction d’un socle social commun pour tout le secteur, sur la base de la convention la plus favorable aux employés ; en mettant durant 6 mois les ressources de l’IGAS à disposition des partenaires sociaux pour avancer sur cette voie ; en mettant sur la table 200 millions d’euros par an pour accompagner les employeurs, sans pour autant bien sûr se substituer à eux.
Le ministère a pris ses responsabilités. Il espère que les employeurs signataires de ce communiqué sauront prendre les leurs, et attend de leur part des propositions et calendriers de travail lui confirmant qu’ils y sont prêt
s. »

Reste à savoir comment les professionnels se situeront ? Défendront-ils leurs employeurs ou considéreront-ils que l’effort de l’État n’est pas anodin et que c’est à leur employeur de donner le dernier petit coup de pouce ? Tout dépend probablement du statut de leur gestionnaire-employeur…

Une première indication avec Cyrille Godfroy, co-secrétaire général  du SNPPE, qui commente : « C’est assez incompréhensible que le secteur privé lucratif demande 100% de soutien financier pour revaloriser ses professionnels alors que leur fonctionnement fait qu’ils dégagent des bénéfices réinvestis dans leur développement ou distribués à leurs actionnaires. » Pour le reste, il laisse entendre que ce petit coup de pression envers les gestionnaires ne lui déplait pas, s’il permet de faire avancer les choses.

Pour Julie Marty-Pichon, co-présidente  de la Fneje, « c’est très bien de demander des engagements au privé lucratif dont la convention collective est la moins disante pour les pros. Quant au tiers restant ? La question est : est-ce que les collectivités vont suivre ?». Et elle ajoute néanmoins que « tout le monde converge vers Alifsa, c’est une bonne chose.» C’est dit ! Et souligne cependant que sur les revalorisations dans le public, passer par le système de primes (rifseep) est « injuste car toutes les collectivités n’ont pas les mêmes moyens. »

D’autres pros ou gestionnaires-employeurs préfèrent se taire pour ne pas mettre de l’huile sur le feu.

* : ANEM, Fédésap, FEHAP, Mutualité Française, Hexopée, FFEC, FNAPPE, USB Domicile (ADMR).

Pour aller plus loin : lire notre dossier sur les conventions collectives du secteur.
Voir aussi notre article consacré aux difficultés des crèches associatives

Voir l’intégralité du communiqué en pièce jointe ci-dessous.

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Catherine Lelièvre

PUBLIÉ LE 07 juillet 2023

MIS À JOUR LE 14 juin 2024

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