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Zoom sur l’accueil de la petite enfance à Montpellier
Montpellier a décidé de voir grand pour la petite enfance. La nouvelle équipe municipale en place depuis 2020 affiche son ambition sans détour… et sans nier la réalité du terrain, ni les nombreux obstacles à surmonter. Convaincue qu’« il coûte moins cher d’aider un enfant et une famille à se construire, plutôt que d’attendre qu’ils dysfonctionnent pour les soigner », la ville redessine les contours de sa politique, s’appuie sur un pôle petite enfance à part entière et se rapproche de partenaires institutionnels et associatifs pour coconstruire un projet éducatif petite enfance (PEPE) à la hauteur du défi qu’elle s’est fixée : réduire dès le plus jeune âge les inégalités sociales et territoriales. En passant par un accueil de qualité du jeune enfant.
Augmenter le taux de couverture en s’adaptant aux spécificités du territoire
Malgré un taux de couverture des modes d’accueil de 47 %, soit douze points en dessous de la moyenne nationale, et un taux de pauvreté de 27 %, le double comparé au niveau national, la ville continue d’attirer chaque année plus de 4 000 habitants. Deux tiers de sa croissance annuelle (+ 1,2 %) sont liés aux naissances et un tiers à l’arrivée de nouveaux habitants dont une majorité de jeunes… « Chez les moins de 30 ans, le taux de pauvreté atteint 37 %. Quatre familles allocataires de la CAF sur dix sont en situation de monoparentalité, détaille Jean-François Rioufol, directeur du pôle petite enfance. Avec douze quartiers prioritaires, la ville cumule les défis. »
Comment faire en sorte que l’offre de places d’accueil du jeune enfant augmente davantage que la demande ? Comment développer l’accueil individuel ? Comment attirer et fidéliser de jeunes professionnels qui manquent aussi et de plus en plus l’appel à Montpellier ?
Consciente des défis à relever dans le champ de la petite enfance en général – 10 000 enfants de moins de 3 ans et 3 700 naissances par an – et de l’accueil du jeune enfant en particulier, l’équipe municipale en place depuis 2020 a annoncé la création de 300 places en PSU d’ici 2026, tout en se montrant pragmatique. « Notre objectif est de rehausser le taux de couverture et les 300 places en crèche ne vont pas suffire, annonce Tasnime Akbaraly, adjointe au maire de Montpellier, déléguée à la petite enfance et à la vie de l’enfant dans la Ville. C’est pour cela que nous souhaitons développer toutes les formes d’accueil, y compris dans le secteur privé. »
Fin 2022, la ville de Montpellier a conclu une convention territoriale globale (CGT) avec la CAF. « Elle fixe le cadre de notre partenariat et déroule le plan d’actions que la ville s’est fixé notamment pour soutenir les crèches existantes, les développer et créer de nouvelles places de crèche que nous cofinançons », détaille Claire Narang, directrice adjointe en charge de la CAF de l’Héraut.
Coconstruire un service de la petite enfance avec les associations et le privé non lucratif
« Quand nous sommes arrivés à la mairie, il y avait 70 directions. Le maire a souhaité réduire leur nombre à 20 pôles. Parmi eux, le pôle de la petite enfance est un pôle à part entière », souligne Tasnime Akbaraly. Le pôle emploie 45 agents à l’Hôtel de ville, 680 sur le terrain et possède 30 structures collectives ce qui en fait une grosse régie. Le budget consacré à la petite enfance est de 37 millions d’euros (budget primitif 2023)…
Mais les 300 places annoncées ne suffiront pas à inverser l’offre et la demande. D’où l’idée de coconstruire un service de la petite enfance avec le secteur associatif. « La ville met des moyens importants financiers pour à la fois développer le service public municipal en régie et pour venir soutenir davantage le modèle associatif ou mutualiste à but non lucratif avec qui nous partageons les mêmes valeurs en termes de qualité d’accueil, de ratio d’encadrement, de qualification des professionnels et d’approche globale autour du soutien à la parentalité… », explique Jean-François Rioufol. Selon l’implication des associations, la ville propose de doubler ses subventions pour pouvoir les accompagner à la fois dans le développement de l’offre, dans le soutien à leur modèle économique et vers le guichet unique.
Ce partenariat se traduit par la signature de Cpom (Conventions pluriannuelles d’objectifs et de moyens) dans une logique de contractualisation. « Ce qui est intéressant ici, c’est qu’on rentre dans une phase de coconstruction du service public, remarque Jean-Michel Carreres, directeur de l’Association languedocienne pour la jeunesse (ALPJ), qui gère plusieurs crèches. Nous ne sommes plus considérés comme des prestataires de services mais comme des partenaires. Et si la mairie vient nous voir, c’est qu’elle se reconnaît aussi dans nos valeurs. Nous partageons les mêmes préoccupations. »
Plusieurs Cpom sont en cours d’élaboration mais d’ores et déjà, une douzaine de crèches ont signé. « Ce qui est unique et intéressant, c’est cette histoire de « fusée à étages », observe Anne-Laure Comte, directrice du pôle famille de la Mutualité française grand sud qui gère la crèche Les Petites Mayas. Il y a un cadre commun et la ville ensuite « récompense » en subvention les crèches qui en font davantage qualitativement et qui acceptent le guichet unique. Je gère 17 crèches et c’est la seule ville qui propose cette « fusée à étages ». »
En acceptant le guichet unique, les crèches appliquent les critères d’attribution des places mis en place par la mairie. « Notre objectif, c’est que les crèches soient représentatives du profil démographique et social de la ville », explique Jean-François Rioufol. Pour y parvenir, le pôle petite enfance a élaboré une grille avec une cotation qui affiche de manière très assumée le fait que les crèches ont, dans leur mission, un rôle particulier en termes de mixité, d’inclusion ainsi que d’accueil des familles en situation de monoparentalité. Le tout dans une logique d’équilibre et de soutenabilité.
Une DSP confiée à un acteur non lucratif : une première à Montpellier
« Lorsque nous sommes arrivés en 2020 à la mairie, nous avons hérité d’une délégation du service public (DSP) en cours et nous avons pu intervenir sur le cahier des charges pour permettre aux associations ou au privé non lucratif de se positionner », explique Tasnime Akbaraly.
Le 26 juillet 2021, le Conseil municipal approuve le principe de la gestion d’une crèche dans le cadre d’une délégation de service public. Puis, par délibération du Conseil municipal du 5 juin 2023, la Ville choisit de confier la gestion de la crèche Liselotte à la Mutualité française grand sud, entreprise mutualiste à but non lucratif : une première à Montpellier.
La crèche a ouvert ses portes le 4 septembre 2023 dans le quartier Port Marianne. Pour s’adapter au plus près aux attentes des familles, la crèche accueille les enfants dès 6h (au lieu de 7 h 30) et jusqu’à 21 h 30 (au lieu de 18 h 30). Elle offre une capacité de 72 places d’accueil collectif pour des enfants âgés de 2 mois et demi à 4 ans ou moins de 6 ans en accueil périscolaire.
« En tant que DSP, nous rendons des comptes à la mairie via un rapport annuel et des rapports trimestriels suivis de réunions et nous faisons partie du guichet unique », explique Anne-Laure Comte. Les Petites Mayas, l’autre crèche gérée par la mutualité n’en fait pas encore partie mais le sera bientôt dans le cadre du Cpom. « Dans les deux cas, nous coconstruisons le service montpelliérain de la petite enfance et cela se fait avec beaucoup de transparence et de fluidité, poursuit Anne-Laure Comte. On nous sollicite, on échange et on a des retours. On est au même niveau d’informations. C’est assez inattendu à l’échelle d’une ville comme Montpellier et c’est assez rare pour le signaler. »
Compléter l’offre d’accueil collective avec le secteur privé lucratif
« Pour moi, la priorité est de travailler avec des partenaires non lucratifs en développant les Cpom, assume Tasnime Akbaraly. Mais je ne rejette pas les structures privées car elles viennent compléter l’offre d’accueil. » Concrètement, la ville ne souhaite plus recourir à de nouvelles délégations de service public avec le secteur privé lucratif mais elle conserve les deux DSP existantes. L’une est gérée par le réseau People & Baby et la seconde par le réseau La Maison Bleue.
« La mairie nous a fait confiance pour gérer la crèche Henri Salvador, confirme Christophe Pin directeur régional de la Maison Bleue. Elle dispose de 89 places en accueil collectif mais également de 12 places en accueil familial pour les assistantes maternelles, ce qui permet une pluralité d’accueil. » La Maison Bleue entretient des liens très étroits avec la ville afin de mettre en œuvre les critères d’attribution. « Cela se traduit par des réunions trimestrielles, par des visites organisées et inopinées, par la participation à la commission d’attribution des places… » énumère Christophe Pin. Les liens sont différents avec la micro-crèche interentreprises Montessori Les Coccinelles que possède également le groupe à Montpellier. « Mais c’est un projet que nous avons mené avec la ville pour répondre à un besoin », précise Christophe Pin.
Les réseaux de crèches Les Petits chaperons rouges et Babilou sont également présents. « Qu’il y ait des acteurs privés qui continuent à ouvrir des crèches à Montpellier, c’est très bien, affirme Jean-François Rioufol. La Ville a besoin de cette offre complémentaire dont une grande partie applique la PSU. » Certaines réservent aussi des berceaux aux entreprises. Quant à leurs critères d’attribution, « ils répondent aux besoins d’une partie des familles, confirme-t-il. Mais ils sont différents du service public montpelliérain qui lui est tourné vers des logiques de mixité, d’égalité, d’accessibilité… »
La ville possède également une quarantaine de berceaux dans le cadre d’un marché à procédure adaptée. « Nous y avons eu recours historiquement sur des secteurs de la ville où l’on considérait l’offre municipale insuffisante, mais c’est assez marginal et il n’y en aura pas plus, assure le directeur du pôle petite enfance. D’ailleurs, on réinterrogera régulièrement l’intérêt de réserver ces places parce que ça nous coûte assez cher. Notre approche est très pragmatique. Tout dépend de l’offre. »
Enrayer l’érosion de l’accueil individuel en s’appuyant sur les relais petite enfance
À travers les Cpom, la ville met les moyens financiers pour développer l’accueil collectif non lucratif, mais elle a aussi bien l’intention d’enrayer l’érosion de l’accueil individuel municipal et indépendant. « Et c’est un vrai défi ! Beaucoup d’assistants maternels partent à la retraite et on n’arrive pas à les remplacer… » se désole Jean-François Rioufol. Dans le cadre de son Service d’accueil familial (Saf) municipal, la ville travaille sur le statut de ses propres salariés pour être plus attractif. « Le salariat offre un tas de garanties (rémunération, congé) mais nous n’avons pas assez de candidats… » constate le directeur du pôle petite enfance.
La Ville compte mettre en place dans les prochains mois un plan d’actions pour lever les freins, notamment ceux liés au logement. « Une partie des professionnels qui pourraient être intéressés pour se lancer dans ce métier sont refroidis par le fait qu’ils n’arrivent pas à trouver des appartements pour exercer dans de bonnes conditions », observe le directeur du pôle petite enfance.
La Ville compte également s’appuyer sur les relais petite enfance (RPE). Ils font partie du pôle enfance et l’une de leur mission est de professionnaliser les assistants maternels via la formation continue. « J’ai frappé à la porte du relais le plus proche de mon secteur et l’éducatrice m’a très bien accueilli, témoigne David Bousquet qui s’est récemment reconverti assistant maternel. Elle m’a accompagné dans mes démarches pour obtenir mon agrément. Pour moi, c’est un lieu ressource du point de vue administratif mais, surtout, pour toutes les activités culturelles à faire avec les enfants comme les visites au musée des beaux-arts Fabre. »
Depuis septembre 2022, les RPE ont été resectorisés avec l’ouverture d’un 8e relais. « Le maillage est désormais suffisant, considère Sylvie Bernard, EJE et responsable de RPE Val-de-Croze. Il manque juste un RPE itinérant pour atteindre les professionnelles et les familles excentrées, mais là nous ne sommes qu’au stade de projet. »
La ville souhaite à terme que les RPE deviennent des lieux de ressources repérables, repérés et fréquentés par les professionnelles et les familles. « Pour le moment, chaque relais est géré par une EJE, précise Sylvie Bernard. Dans le cadre du guichet unique, elle sera assistée par une personne au profil administratif et social dont la principale mission sera de renseigner les familles. »
L’objectif est que, dans chaque RPE, les familles puissent avoir accès à toutes les informations sur les modes d’accueil du jeune enfant et s’inscrire, si elles le souhaitent, au guichet unique du service montpelliérain de la petite enfance. « J’aimerais aussi que ce soit un lieu où les familles viennent frapper sans avoir forcément besoin d’un mode d’accueil », ajoute Tasnime Akbaraly. Le projet éducatif de la petite enfance de la ville comprend aussi le soutien et de l’accompagnement de toutes les parentalités.
Améliorer l’accueil et le bien-être au travail avec « un plan qualité au carré »
« Si un jour, je dois recadrer un geste ou une parole inadaptée auprès d’un enfant, je sais que je suis soutenue par ma hiérarchie, assure Pascale Lepagney, directrice d’une crèche municipale arrivée récemment à Montpellier. Le pôle petite enfance est très réactif dans ce genre de situation. Il y a une vraie volonté de nous aider, de comprendre nos problématiques et de trouver des solutions. » La directrice apprécie aussi toutes les possibilités de formations et de projets à travers l’application du « plan qualité au carré » mis en place en 2022.
« On l’appelle ainsi car d’un côté, il y a la qualité d’accueil et de bientraitance et, de l’autre, tout ce qui est autour de la qualité de vie au travail pour nos agents », explicite Tasnime Akbaraly. Il se traduit, entre autres, par un taux de qualification plus important que celui prévu par la loi (80 % de professionnels qualifiés de niveau un) et 10 % d’encadrement au-dessus du ratio prévu par la réglementation.
Dans son plan qualité, la Ville a également travaillé sur la « déprécarisation » des professionnels en faisant émerger le métier d’assistant petite enfance, ouvert aux catégories C, ce qui offre de vraies perspectives de carrière aux CAP petite enfance. Toujours dans cette logique de « déprécarisation », les emplois contractuels ont basculé de six mois à trois ans.
Du côté de la qualité de l’accueil, on peut citer le questionnaire de satisfaction des parents, les conseils de crèches, les formations obligatoires sur la bientraitance… « Un des axes forts de Montpellier, c’est aussi l’éveil artistique et culturel y compris pour les 0-3 ans, insiste Jean-François Rioufol. Actuellement, on accompagne des projets de fresques dans les crèches. »
Sur le papier, toutes ces actions illustrent la volonté d’accueillir les enfants dans les meilleures conditions, mais elles reposent sur un personnel qualifié et, surtout, en nombre suffisant. « Malheureusement, il n’est pas rare qu’une formation anticipée et programmée de longue date soit annulée au dernier moment à cause d’en arrêt maladie non remplacé… commente Pascale Lepargney. Le quotidien d’une crèche, c’est plutôt de gérer les priorités. Devoir renoncer au dernier moment à une séance d’analyse de pratique pour pallier une absence, ça crée de la frustration. »
Faire face à une pénurie de plus en plus visible et mettre en place un management moderne
Montpellier souffre moins de la pénurie du personnel que d’autres villes, mais souffre quand même, l’obligeant parfois à réduire les heures d’ouvertures des crèches. En 2023, sur 1 300 places, le pôle petite enfance comptabilise une quinzaine d’incidents par mois se traduisant par une restriction d’horaires. « Par exemple, les parents étaient prévenus le lundi que la crèche allait fermer plus tôt le jeudi », explique Jean-François Rioufol.
Mais, depuis le début de l’année, la situation se dégrade et la pénurie de remplaçants s’est traduite fin février par des fermetures partielles, provoquant l’incompréhension des familles. « En tant que directrice, je peux être amenée aussi à remplacer une auxiliaire de puériculture au pied levé, confirme Pascale Lepagney. On travaille beaucoup dans l’urgence. »
En parallèle, un écart se creuse entre les ambitions affichées par le pôle petite enfance et le quotidien des équipes sur le terrain. Le personnel fait face à des situations beaucoup plus complexes qu’elles ne l’étaient il y a dix ou quinze ans : comportements liés à l’usage des écrans, davantage d’enfants avec des particularités voire des troubles du développement… « Nos crèches ont un rôle fondamental pour faire du diagnostic précoce et de l’accompagnement, rappelle le directeur du pôle petite enfance. Mais tout ça prend énormément d’énergie car on est presque obligé de faire du « un pour un » avec des enfants qui sont en difficulté. »
Résultat, les équipes sont épuisées, l’absentéisme se multiplie et le quotidien des crèches se focalise sur cette question : est-ce qu’on va être au complet demain ? « Il faut être humble et modeste sur nos résultats », admet Jean-François Rioufol, qui ne baisse pas les bras pour autant. Pour répondre à la souffrance des professionnels de la petite enfance, le directeur du pôle souhaite actionner le levier de l’accompagnement managérial. « Une crèche est un petit écosystème avec des professionnels qui viennent de différents horizons et de niveau très différent, analyse-t-il. Tout le défi des prochaines années, c’est de réussir à injecter un management beaucoup plus moderne basé sur l’écoute, la concertation, la coproduction, la confiance et l’exemplarité. Le regard que porte chaque professionnel sur le développement du tout-petit est important. »
L’accueil de la petite enfance à Montpellier en chiffres
Chiffres au 1er janvier 2024
2 723 places en accueil collectif dont :
1 340 places dans 27 crèches en régie municipale et 3 crèches en DSP
602 places dans 21 crèches associatives et 5 microcrèches associatives dont une crèche à vocation d’insertion professionnelle (AVIP)
511 places dans 11 crèches et 12 microcrèches privées lucratives (Les Petits chaperons rouges, People & Baby, la Maison bleue, Babilou)
270 places dans une crèche départementale et une crèche du centre hospitalier universitaire
1826 places en accueil individuel dont :
56 places dans 4 crèches familiales municipales dont 2 en DSP
17 places dans une crèche familiale associative et un relais parental
1673 places dans 7 MAM et chez 534 assistantes maternelles
80 places dans un SAF CHU
Et aussi…
8 Relais petite enfance
12 haltes-garderies
1 jardin d’enfants
Anne-Flore Hervé
PUBLIÉ LE 05 mars 2024
MIS À JOUR LE 12 juin 2024