Abonnés
Zoom sur l’accueil de la petite enfance à Toulouse
Il fait bon vivre à Toulouse et la ville rose affiche une croissance démographique constante qui fait exploser ses besoins d’accueil et l’oblige à mener une politique petite enfance des plus réactives. Engagée pour une mixité sociale assumée qui ne fait pas l’unanimité, elle réussit cependant à faire cohabiter une certaine pluralité de gestionnaires, en soutenant l’accueil individuel et prenant largement appui sur le secteur associatif – peu sur le secteur privé – pour construire son offre d’accueil. La pénurie de professionnels et la pression foncière n’en restent pas moins difficiles à contourner.
Une démographie galopante et une forte mixité sociale
Toulouse est la quatrième ville de France ; une métropole très étalée qui grandit vite, un pôle économique majeur porté par l’industrie aéronautique et spatiale, le secteur tertiaire et une qualité de vie agréable qui attirent chaque année plus de 13 000 primo arrivants. Avec un taux de natalité élevé (14,1 naissances pour 1000 habitants contre une moyenne nationale de 10,6 naissances pour 1000 habitants), la ville rose affiche une croissance et une démographie constantes qui pourraient bien lui permettre de dépasser le demi-million d’habitants et détrôner Lyon au prochain recensement. Un dynamisme qui implique des besoins importants en matière d’accueil de la petite enfance.
Mais « à Toulouse, il n’y a pas que des ingénieurs d’Airbus », tient à rappeler Laurence Katzenmayer, adjointe au maire en charge du Premier Accueil du jeune enfant, de la Famille et de la Parentalité. Avec douze Quartiers Prioritaires de la Ville (environ 55 000 habitants) dans lesquels 50% des familles vivent en dessous du seuil de pauvreté, la municipalité doit composer avec une forte mixité sociale et un équilibre délicat entre familles qui travaillent et familles en situation de fragilité.
Une politique petite enfance dynamique et ambitieuse
Pour assumer ce dynamisme démographique, la mairie de Toulouse a toujours eu une politique petite enfance marquée. Depuis 2002, la municipalité a fait des efforts sans précédents pour renforcer son offre, gagner en souplesse et renforcer la qualité. Les trois derniers maires s’étaient engagés sur la création de 1000 places en crèche. Réélu maire de Toulouse en 2020, Jean-Luc Moudenc a promis de faire de la petite enfance une priorité de son mandat. Parmi ses engagements de campagne : 1500 places d’accueil pour la petite enfance, 1 ATSEM par classe et 75% de bio et de local dans les cantines de la ville.
Pour déployer l’ambitieux Projet toulousain d’accueil du jeune enfant, l’adjointe au maire Laurence Katzenmayer – infirmière entrée en politique en 2014 – a choisi la délégation de la petite enfance, dont elle connait bien les problématiques de terrain. Elle est d’ailleurs particulièrement investie dans les groupes de travail de France Urbaine, à l’AMF et sur la construction du futur SPPE. « Je crois pouvoir affirmer qu’à Toulouse, c’est la première fois que l’élu à la petite enfance est également adjoint au maire, précise-t-elle. Avant, ça n’avait pas la voilure que ça a aujourd’hui ! ». Elle gère donc une Direction petite enfance de plus de 1500 agents titulaires, 300 agents contractuels et annonce des chiffres conséquents : 1300 places en crèche ouvertes durant le dernier mandat, 11 structures rien que sur l’année 2019, et en moyenne 800 nouvelles places créées (privé, associatif et municipal confondus) depuis le début de ce mandat. Mais lorsqu’on observe les données statistiques de la Caf de Haute-Garonne c’est un dynamisme qui semble se tarir : de décembre 2020 à août 2023, le nombre de places dans les modes d’accueil de Toulouse, tous gestionnaires confondus est resté stable. Seuls les nombres de places dans les structures à gestion privée et dans les structures gérées par la Mutualité Française ont augmenté respectivement de 22% et 39%. Le nombre de places dans les structures en gestion publique et CCAS a légèrement baissé de 2,89% et 4,57% pour le secteur associatif. Et peu de projets sont annoncés pour les années à venir…
Alors quelle est la stratégie ? « Etre élue à la petite enfance ce n’est pas que construire des nouvelles crèches. C’est aussi être résilient, ne pas être figé, savoir organiser l’offre et optimiser l’existant, tenir compte de ce qui a été fait en amont et réfléchir à comment l’améliorer, souligne Laurence Katzenmayer, évoquant ici un lieu reconverti en RPE ou là un autre alternativement mis à disposition d’un LAEP, d’une crèche et d’assistantes maternelles. Seule ombre au tableau, une PMI sur la réserve, jugée absente, peut-être davantage axée sur ses missions auprès des familles, n’apportant pas l’aide attendue aux professionnels de la petite enfance. Sur fond de bisbille politique, elle semble avoir des relations très tendues avec la Direction petite enfance et sort d’une période compliquée en termes de management et de recrutement. Mais la situation semble, paraît-il, s’améliorer depuis quelques mois, avec une vraie volonté d’aller de l’avant…
Une étape de la Concertation territoriale
En février 2023, la concertation territoriale pour le Service Public de la Petite enfance, menée par Elisabeth Laithier, avait fait étape à Toulouse. Entrainée par Laurence Katzenmayer et ses équipes, la présidente du Comité de filière petite enfance avait pu visiter l’Espace petite enfance Henri Desbals dans le QPV Bagatelle, qui regroupe en un même lieu un multi-accueil, un espace d’information aux familles, une halte-garderie, un LAEP une crèche et un RPE ! « Je reconnais l’investissement extrêmement important du maire et des équipes pour la petite enfance. Il y a, à Toulouse, un engagement très fort pour les enfants et leurs familles, quels qu’ils soient. Nous ne sommes pas loin de ce qu’on appelle un service public ! J’ai vu une richesse et une diversité d’offre impressionnantes qu’il faut préserver. Il ne faudrait pas, en mettant en place un SPPE, uniformiser tout cela qui correspond à leurs besoins de territoire. Il faut simplement que tous ces lieux et espaces aient des dénominateurs communs : la qualité irréprochable, l’ouverture à toutes les familles et enfants, et que l’on puisse répondre positivement », rappelle-t-elle.
Un guichet unique qui priorise les familles qui travaillent
La Ville a mis en place 10 Espaces Petite Enfance pour accueillir les familles et centraliser les demandes d’inscription dans les modes d’accueil de la ville et les structures partenaires. Depuis 2011, une Commission d’Admission Unique (CAU), devenue l’année dernière Commission d’Attribution des places d’Accueil du Jeune Enfant (CApAJE), analyse les demandes par un système de points octroyés en fonction de critères d’attributions basés sur la composition familiale, la situation professionnelle et les situations spécifiques. Sont prioritaires les familles qui travaillent, les familles monoparentales, les familles en situation de handicap et les situations spécifiques d’urgence. Les critères tiennent également compte de la situation socio-économique. « On priorise d’abord les familles qui travaillent, ça nous parait logique, explique Laurence Katzenmayer. Mais pas que. On donne des points en plus aux familles qui retrouvent du travail, qui rentrent en formation. (…) On a modifié les critères d’attribution l’an dernier mais je crois qu’il va encore falloir ajuster car il faut s’adapter à la population qui change tout le temps ! Il n’y a pas une rentrée identique à la précédente, en termes de besoins des familles. » Un engagement affirmé de qui ne fait pas l’unanimité et oblige les structures à une réelle mixité sociale. Notons qu’à la rentrée de janvier 2024, ce guichet unique changera de support informatique et devrait s’avérer plus performant.
L’accueil collectif et les défis de la mixité sociale
Aujourd’hui, la municipalité de Toulouse compte 107 crèches multi-accueils et 36 crèches collectives (anciennement CCAS). Pour harmoniser et restructurer l’offre de la ville, Laurence Katzenmayer a mis en œuvre les moyens nécessaires pour réintégrer, dans le giron de la municipalité, 16 crèches auparavant gérées par le CCAS. De grosses structures (jusqu’à 80 berceaux) dont la plupart étaient situées en QPV et 8 hébergées dans des locaux de la ville. Un chantier important bientôt achevé (il reste encore une crèche) qui aura impliqué la réintégration des personnels, l’ajustement des salaires, des primes etc. et donc un effort financier conséquent pour la ville.
Pour développer son offre d’accueil, la Direction petite enfance tente d’optimiser l’existant et privilégie les projets sur des locaux en propre. Il y a dix ans, la ville investissait beaucoup sur des crèches en rez-de-chaussée d’immeubles avant d’y renoncer. Aujourd’hui, elle se concentre davantage sur des crèches intégrées dans des écoles. A chaque nouveau projet d’école, se pose la question de la possibilité d’y ouvrir une crèche : les services Education et Petite Enfance se rencontrent en amont pour étudier cette solution qui peut être particulièrement avantageuse pour les familles.
Malgré tout, certains quartiers sont toujours en tension, et la liste d’attente encore longue. Dans les QPV tout particulièrement, la Ville peine à mettre en pratique la mixité sociale qu’elle défend. « Aujourd’hui, nous avons attribué la quasi-totalité des places, les seules qu’il me reste, ce sont dans des crèches QPV, déplore Laurence Katzenmayer. On a essayé d’attribuer ces places à des familles qui habitent à deux stations de métro mais elles ne veulent pas y aller ! C’est bien d’avoir l’intention de faire de la mixité mais dans la réalité ça ne fonctionne pas… »
13 millions d’euros, insuffisants pour le secteur associatif
Agnès Privat est présidente du Collectif des Associations Petite Enfance de Haute-Garonne – CAPE 31 – qui représente un tiers des structures de la ville tous gestionnaires confondus. « La Ville a à cœur de préserver une certaine pluralité de gestionnaires pour que chaque famille y trouve son compte », souligne-t-elle. Ainsi la municipalité s’appuie largement sur les crèches associatives qui représentent presque la moitié de l’offre. La Haute-Garonne compte 97 structures associatives à gestion parentale. Dans la métropole, CAPE 31 en fédère 18 et le Réseau Cocagne de l’ACEPP en rassemble 15 ; des crèches anciennes avec une forte empreinte parentale. La plupart ne sont plus qu’à gestion parentale ; dans deux ou trois crèches seulement, les parents assurent encore des temps d’accueil.
La Ville finance ces structures associatives sur la base d’un contrat d’objectifs et de moyens d’une durée de trois ans, qui les invite à respecter la politique petite enfance, intégrer la CApAJE et ses critères d’attribution des places. En sus, à la Direction petite enfance, des équipes sont dédiées à l’accompagnement de ces structures, un service réputé particulièrement compétent, disponible et à l’écoute des professionnels. « Nous attribuons 13 millions d’euros de subventions par an aux crèches associatives et mutualistes (Mutualité Française). Une subvention augmentée de 3% l’an dernier, qui devrait encore augmenter à l’avenir pour soutenir ces associations », affirme Laurence Katzenmayer. Une subvention que de nombreux acteurs locaux jugent faible, laissant un secteur associatif en constante tension voire même en difficulté, malgré de bons taux d’occupation. Un sujet de préoccupation pour la CAF qui « porte une attention particulière à la situation du secteur associatif et à sa viabilité financière », tient à préciser Rémi Ghezzi, sous-directeur du service aux partenaires à la Caf de la Haute-Garonne.
Pour Lola Leymarie, coordinatrice du Réseau Cocagne de l’ACEPP 31, « les crèches associatives sont à flux tendu en termes de personnel, de lourdeur administrative… ». Elle rappelle que les crèches associatives à gestion parentale ont un mode de fonctionnement particulier qui demande un fort investissement des familles et une collaboration supérieure des professionnels avec les familles, que l’administratif et les RH ne sont pas externalisés, que les directrices sont aussi sur le terrain… Si la mairie leur assure son soutien sans faille, l’ACEPP fait cependant remarquer que d’autres collectivités donnent davantage par berceau que la mairie de Toulouse. Et Lola Leymarie de préciser que « les charges augmentent drastiquement depuis quelques temps. Si les financements n’abondent pas à hauteur, on risque d’avoir des déficits importants ! »
La moitié des crèches associatives refusent d’intégrer la CapAJE
Sur la centaine de crèches associatives existantes, la moitié refuse d’intégrer la CApAJE, sans que la ville ne puisse les y contraindre. Par souhait d’indépendance, pour avoir une plus grande liberté d’action et ne pas être mises en difficulté dans leur fonctionnement. Lola Leymarie explique la problématique : « Si elles intègrent la CApAJE, les crèches associatives ne peuvent pas choisir les familles. Ne pas pouvoir choisir les familles qui composent les CA et les bureaux des structures associatives à gestion parentale est un problème pour certaines en termes de continuité de gouvernance et de service car elles peuvent tomber sur des parents qui ne sont pas impliqués, qui viennent là uniquement pour avoir une place… ». Il y a aussi la question d’une certaine lourdeur administrative difficile à assumer pour des structures indépendantes. Laurence Katzenmayer n’y voit pas de mauvaise volonté. « C’est plus facile d’avoir 10 nouvelles familles qui font 8h-18h que d’en avoir 30 qui viennent une fois le mardi, une fois le mercredi voir ne viennent pas », reconnait l’élue, expliquant qu’il est plus aisé de tenir les engagements de la PSU horaire avec des familles stables qui viennent en régulier qu’avec des familles en situation de fragilité qui ne viennent pas pour un oui pour un non.
Elle souligne qu’à l’avenir, il va cependant falloir s’attaquer à cette question de l’engagement des structures associatives : « Dans le cadre du SPPE, il est question d’un guichet unique. Mais moi qui finance ces crèches associatives, je ne peux pas leur imposer. Ce n’est pas légal, sinon cela devient une DSP. »
Un secteur privé porté par Babilou et la Mutualité Française
Le secteur marchand est très présent à Toulouse et la Caf de Haute Garonne se dit particulièrement attentive à la qualité et la viabilité des projets. Babilou se positionne en leader suivi par quelques concurrents, principalement Les Petits Chaperons Rouges, La Maison Bleue et People and Baby. Le groupe, qui a installé ici son siège régional Sud-Ouest, tient son assise au rachat de l’entreprise locale BébéBiz en 2019. Babilou compte aujourd’hui 29 crèches multi-accueil sur le Grand Toulouse (21 avec des partenariats collectivités) dont 8 dans Toulouse intra-muros (237 berceaux). Désormais les entreprises ont la possibilité de réserver leurs places en réseau pour laisser les salariés choisir la crèche qui leur convient le mieux, proche de leur domicile. Pour l’année 2024, Babilou annonce quatre projets d’ouverture de crèche à Toulouse, pour un total de 113 berceaux.
Du côté non lucratif, la Mutualité Française est un acteur local important avec 9 crèches subventionnées par la ville sur la base d’un contrat d’objectif et de moyens, tout comme les structures du secteur associatif. Il existe également à Toulouse l’une des plus grandes crèches universitaire, UPSIMômes, dont les 60 berceaux sont réservés au personnel de l’université et aux étudiants. Les deux CHU de la ville ont chacun une importante crèche hospitalière, engluées dans des situations délicates. Celle du CHU de Rangueil (110 berceaux) devait être cédée à un groupe privé, People and baby selon la CGT. L’an dernier, le personnel de la crèche était en grève pour manifester son inquiétude quant à ce projet, dénonçant une course à la rentabilité alors que les équipes sont déjà en grande difficulté. Celle de Purpan (plus de 95 berceaux) doit faire face à une affaire inquiétante : le décès en novembre 2021 d’une auxiliaire de puériculture, employée depuis 40 ans à la crèche, a été reconnu en maladie professionnelle. Son mari continue cependant le combat pour faire reconnaitre son exposition passive à l’amiante dans les locaux du CHU. Pour accroitre sa capacité d’accueil de 60 berceaux, le CHU de Purpan a également un partenariat avec deux crèches privées.
Une complémentarité assumée avec le secteur privé
La ville de Toulouse ne fait pas de Délégation de Service Public. Elle réserve, avec parcimonie depuis le dernier mandat, une cinquantaine de berceaux dans les crèches privées, pour compléter son offre dans des secteurs en tension où elle n’a pas encore de projets. Pour Laurence Katzenmayer, c’est un choix affirmé : « Nous n’avons pas de DSP car nous avons ce contrat d’objectif et de moyens (ndlr. avec le secteur associatif) qui marche bien, sur lequel on est gagnant-gagnant ; et que nous ne souhaitons pas de DSP. (…) Culturellement, nous avons toujours davantage travaillé avec le milieu associatif qu’avec le milieu privé. » Un choix stratégique et financièrement avantageux pour la Ville puisque – Agnès Privat a fait le calcul – la subvention apportée aux crèches associatives, ramenée au coût par berceau, est bien largement en dessous du prix d’achat au berceau dans le secteur privé…
L’ouverture de la ville au secteur privé s’est faite « assez tardivement, autour de 2016-2017 », estime Claire Laborde, directrice exécutive Sud-Ouest chez Babilou. « Les échanges se sont intensifiés sur le partage des enjeux, des problématiques, des quartiers prioritaires, à partir du moment où la ville a eu cet objectif de 1000 nouvelles places et donc le besoin de s’appuyer sur différents acteurs pour l’aider à atteindre cet objectif ambitieux ». Et également depuis que Babilou a changé de stratégie : dans un premier temps, le groupe cherchait à s’implanter dans des lieux proches des entreprises, aujourd’hui, il cherche à ouvrir des crèches proches des habitations des familles ; des choix d’implantations plus intéressants pour la municipalité. « D’où ce partenariat relativement récent avec la Ville, souligne Claire Laborde. Aujourd’hui, ils font de la juste réservation en fonction de leurs besoins », et notamment dans les crèches du groupe Babilou. Une vraie complémentarité puisque la Ville comme Babilou y trouvent leur compte : « Ça me permet de proposer des berceaux dans des structures différentes et aux crèches privées de valoriser l’accompagnement de la ville sur leur projet. On est dans des relations équilibrées avec le privé, défend Laurence Katzenmayer. « Nous apprécions avoir ces partenariats avec la ville qui nous permettent d’assurer une mixité sociale dans nos structures, d’accueillir à la fois des partenariats entreprise mais également les habitants du quartier » confirme Claire Laborde pour Babilou.
Les micro-crèches Paje ne sont pas les bienvenues
Toulouse est également un territoire très attractif pour les micro-crèches PAJE qui, bien qu’elles soient largement minoritaires en Haute-Garonne, se développent rapidement. Un véritable problème pour Laurence Katzenmayer qui dénonce leur implantation exponentielle qu’elle juge profondément injuste et pas du tout équitables pour les familles du quartier, mais contre laquelle elle ne peut rien : « Le privé lucratif en PSU ne me dérange pas, il y a un équilibre. Mais la micro-crèche PAJE avec réservation de berceaux ça me dérange ! » La Caf n’y est pas plus favorable. Selon Rémi Ghezzi, il y a « une intention extrêmement forte de la Caf de Haute-Garonne sur ce qu’elle peut contrôler (c’est-à-dire pas grand-chose) et un travail de plus en plus approfondi avec le Conseil Départemental et la Direction petite enfance » pour tenter de cadrer leur développement.
« On s’épuise avec l’accueil occasionnel »
Quant à l’accueil occasionnel, il est un sujet complexe, à la croisée des différentes problématiques de l’accueil collectif et des spécificités de la population toulousaine évoquées. « On s’épuise avec l’accueil occasionnel et ces familles qui ne viennent pas », résume Laurence Katzenmayer, aux prises avec des taux d’occupation trop faibles dans ses structures en régie directe. Elle déplore la pression imposée par les règles de la PSU horaire « et ce sentiment pour les professionnels de toujours devoir combler, combler… » Elle explique que bien que la PSU horaire ait offert beaucoup de liberté aux parents – qui en abusent parfois – la CAF demande des taux d’occupation que les structures peinent à optimiser. « C’est stressant pour les équipes, pour l’élue que je suis, mais aussi pour la Direction petite enfance, d’avoir toujours cette épée de Damoclès de tenir ces taux d’occupation », déplore-t-elle sans langue de bois. Et de souligner que l’accueil occasionnel est également le premier qui pâtit de la pénurie de professionnels. Pour pallier ces difficultés, Agnès Privat évoque le projet auquel œuvre un groupe de travail initié par la mairie de Toulouse : la mise en commun de la liste des familles intéressées par de l’accueil occasionnel. « Pour l’instant cette liste reste mise à jour par le Service petite enfance à destination des structures municipales qui n’ont vraiment pas la capacité d’absorber toutes les familles inscrites. Le projet serait de partager cette liste avec les structures associatives et/ou lucratives. Et pour nous structures associatives, l’accueil occasionnel est un vrai levier pour atteindre l’équilibre budgétaire ! »
Cependant, pour Laurence Katzenmayer, ce sont finalement les halte-garderie qui répondent le mieux aux besoins d’accueil occasionnel. C’est bien pour cela qu’elle dit les avoir préservées voire même tenté d’en ouvrir. Notons qu’il y a eu autrefois à Toulouse des jardins d’enfants, qui ont aujourd’hui totalement disparu faute de soutien. Mais selon la Ville, « ce n’est plus dans l’usage des parents ». Persiste seulement « Ma première page », une école passerelle pour les 2 à 4 ans, qui survit depuis plus de 30 années, sans recevoir aucune aide de la Ville ni de la Région. Un beau mode d’accueil atypique à découvrir, porté à bout de bras par des professionnels et parents engagés.
Maintenir un accueil individuel qui s’étiole
Au-delà de l’accueil collectif, la ville rose compte près de 1100 assistantes maternelles : 860 assistantes maternelles employées par des particuliers et 200 assistantes maternelles employées en crèche familiale qui portent plus de la moitié de l’offre d’accueil de la ville. Elles étaient encore 1600 en 2014 mais les effectifs s’étiolent, avec la pénurie de professionnels et les départs à la retraite. Selon la Caf de Haute-Garonne, le nombre de professionnelles diminue certes ; néanmoins, on observe que celles en activité accueillent plus d’enfants que par le passé. Ce qui fait que le nombre d’enfants, au global accueilli chez une assistante maternelle en Haute-Garonne est globalement stable. Pour Nathalie Sanfeliu, présidente de l’Association Départementale des Assistants Maternels et Assistants Familiaux (ADAMAF) reliée à l’UFNAFAAM, la ville apporte son soutien aux assistantes maternelles et semble chercher un véritable équilibre entre l’accueil collectif et l’accueil individuel à Toulouse. Mais « depuis un an, elle leur demande de fournir les couches, alors qu’avant la mairie les fournissait ! » déplore-t-elle. Une logistique difficile à assumer pour ces professionnelles de l’accueil individuel. Pour Rémi Ghezzi, « La Ville a une vraie volonté de travailler de manière plus approfondie la question de l’accompagnement du secteur de l’accueil individuel. Je trouve que cela progresse sur ces questions-là. Politiquement l’accueil individuel est vraiment dans le scope des élus locaux. A la Caf de Haute-Garonne, nous avons une conseillère technique dédiée car les assistantes maternelles restent déterminantes, et je me réjouis que cette COG marque plus nettement l’engagement de la branche en matière d’accueil individuel », affirme-t-il.
9 crèches familiales qui peinent à recruter
« A Toulouse, les assistantes maternelles font le job ! » s’enthousiasme Laurence Katzenmayer. Pour soutenir la profession, 13 Rpe à gestion municipale couvrent tant bien que mal la ville, très étendue. Depuis peu, les responsables des Rpe ont été intégrées dans la CApAJE, afin d’éviter les doublons et l’attribution de places en crèche à des familles déjà engagées auprès d’assistantes maternelles, un problème majeur que relève l’ADAMAF. « On est plus que prêts pour le SPPE ! » note l’élue, engagée sur le projet. La Ville organise chaque année des portes ouvertes pour permettre aux parents de rencontrer les assistantes maternelles et de changer les mentalités sur l’accueil individuel. Idem avec le Forum de la petite enfance, dont la 3e édition aura lieu en 2024, 6 jours d’affilée dans 6 secteurs de la ville. Avec ses 9 crèches familiales, la Direction de la petite enfance a lancé depuis 6 mois une grande campagne de recrutement, proposant un parcours de formation sur 3 ans mais pour le moment c’est un échec : une seule candidate ! « Je pense qu’il n’y a pas qu’un problème d’attractivité du métier, il y a également un problème par rapport au logement », suggère Laurence Katzenmayer, également élue métropolitaine et présidente d’une commission logement.
Les MAM, un modèle jugé encore fragile
Pour l’ADAMAF, les MAM sont un mode d’accueil qui prend de l’essor en Haute-Garonne (on en compte plus de 130), portées par des professionnels de la petite enfance qui quittent les crèches, pour proposer une meilleure qualité d’accueil. Si la ville n’apporte aucun soutien financier particulier à ces MAM, elle les rencontre, les accompagne techniquement mais juge le modèle encore fragile. « Sur trois ou quatre projets il n’y en a qu’un qui tient ! » estime Laurence Katzenmayer. Mais la solution est à l’étude. L’élue évoque le projet atypique (et peut-être encore utopique) d’une MAM en crèche familiale, dans des locaux qui seront prochainement disponibles. « Cela permettrait de trouver une solution pour ces assistantes maternelles qui n’ont plus envie d’accueillir chez elles, et permettrait de voir si la problématique de la durée de vie de la MAM ne tient pas au besoin d’un vrai management, ce que l’on trouve en crèche familiale », juge l’élue. Notons que l’on trouve à Toulouse une Maison d’Educateurs de Jeunes Enfants (MEJE), des EJE regroupées sous le statut d’une MAM, un nouveau concept qui a essaimé en France ces dernières années et interroge…
Le coût du foncier, une problématique à travailler
Lorsqu’on parle du logement, il faut prendre conscience de la pression foncière extrêmement forte à Toulouse, avec un marché de l’immobilier en tension et des contraintes marquées liées aux territoires, tout particulièrement aux QPV. Mais c’est bien souvent dans les quartiers où il y a des besoins importants et de forts enjeux socio-démographiques qu’il est encore plus compliqué de trouver des locaux, tous secteurs confondus. Et tout particulièrement lorsqu’on cherche des locaux avec un espace extérieur, auquel sont particulièrement attachés les Toulousains, habitués a cette qualité de vie. « Nous avons accompagné avec la Ville, ces derniers mois, deux ou trois associations qui ont rencontré des problématiques liées au fait qu’elles étaient locataires de leurs locaux et dont les propriétaires exigeaient de très fortes revalorisations de leurs loyers », témoigne Rémi Ghezzi.
D’autre part, pour ce qui est de l’accueil individuel, Laurence Katzenmayer, forte de sa double casquette logement et petite enfance, se demande s’il n’y aurait pas une problématique plus profonde liée au logement. « J’ai l’impression qu’après le Covid et le confinement, le logement est devenu un lieu familial et plus tellement un lieu de travail, fait-elle-remarquer. J’essaie de comprendre pourquoi aujourd’hui les villes ont moins de candidates (ndlr. Au métier d’assistante maternelle). Je pense que le logement est certainement le sujet à travailler ».
Pénurie : à Toulouse, on s’engage pour les pros
Toulouse ne fait pas exception, comme partout en France, la pénurie de personnel impacte les structures et la qualité de l’accueil. Chaque année, des collectifs de professionnels battent le pavé pour dénoncer le manque de personnel et les conditions d’accueil dans les structures de la ville. « On manque drastiquement d’auxiliaires de puériculture », alerte Agnès Privat. La pénurie de professionnels entraine un flux, un mouvement de professionnels que nous n’avions pas auparavant, a-t-elle observé. Pour Claire Laborde, la pénurie de professionnels est assez récente à Toulouse et s’est intensifiée, depuis fin 2022, tout particulièrement sur les EJE et auxiliaires de puériculture. « Nous ne pouvons pas augmenter le nombre de diplômés alors nous tentons de sortir des process habituels de recrutement (TikTok et réseaux sociaux). Chez Babilou nous valorisons nos professionnels en poste pour les accompagner dans une démarche de VAE. »
De son coté, la Direction de la petite enfance a mis en place quelques actions fortes pour améliorer les conditions de travail, la formation des professionnels et la valorisation des métiers. L’année dernière, Laurence Katzenmayer s’est refusée à appliquer l’arrêté du 29 juillet, relatif aux professionnels autorisés à exercer dans les modes d’accueil du jeune enfant. D’ici la fin du mandat, chaque crèche municipale accueillera un apprenti, dont les maitres de stage toucheront une prime pour leur investissement. La ville soutient la VAE, collabore avec les écoles de formation et Pôle emploi, organise chaque année un Forum pour l’emploi et a mis en place un service SQVT pour améliorer les conditions de travail. La Caf est optimiste : « Même si Toulouse subit comme les autres grandes villes la pénurie de professionnels, la rentrée 2023 s’annonce meilleure, note Rémi Ghezzi. Il y a eu quelques difficultés mais la situation est bien maitrisée, il y a beaucoup moins de problématiques de fermetures de sections ou restrictions d’horaires qu’il y a pu avoir par les autres années ».
Des projets associatifs forts pour l’inclusion et le handicap
Pour répondre aux besoins atypiques des familles, deux associations proposent les dispositifs Pop’In et Pop Up, subventionnés par la Ville. Tous deux proposent une solution d’accueil à domicile et un accompagnement de proximité que leur délègue la Ville à travers une convention de partenariat. Pop’In, porté par l’Enfanfare, apporte aux parents des solutions de garde à domicile en horaires décalés ou atypiques. Pop’up and do a été mis en place par l’association Crèche and do. Le dispositif propose un accueil à domicile aux enfants en situation de vulnérabilité (prématurité, handicap, maladie chronique) et leurs familles, pour un moment de répit, un accompagnement individualisé en soutien à la parentalité. « Je trouve que la ville de Toulouse est très active sur l’inclusion. Mais le télétravail persistant depuis le Covid est devenu une difficulté pour notre activité », relève Françoise Dousset, présidente de l’association Crèche and Do. A noter également, la Ville a également mis en place un Service Prévention Santé Inclusion (SPSI) qui déploie dans ses structures petite enfance des équipes pluri-disciplinaires pour aider les professionnels à mieux accompagner les enfants en fragilité et leurs parents.
Un LAEP par quartier et des parents aux Conseils de crèches
Pour accompagner de plus près les parents, le maire de Toulouse s’était engagé, pendant sa campagne électorale, à installer un LAEP par quartier. Ce sera bientôt chose faite. Bien qu’ils n’ouvrent pas 7 jours sur 7, les 9 LAEP en gestion publique et associative assurent un accueil parent/enfants sur tout le territoire, au moins dans chaque quartier avec ses spécificités. Dans les structures d’accueil collectif qu’elles visitent, les équipes du SPSI assurent un accompagnement à la parentalité sur l’alimentation, les écrans etc. Enfin, pour donner plus de place et de visibilité aux parents, notons que la Direction petite enfance a mis en place des Conseils de crèches pour chacun des six secteurs de la ville, afin d’offrir aux parents un espace de parole leur permettant d’exprimer leur point de vue sur la qualité de l’accueil proposé et leur avis sur le mode de fonctionnement des structures (crèche collective, familiale, multi accueil et halte-garderie).
Des projets innovants pour la petite enfance
– Une expérimentation sur les perturbateurs endocriniens, portée par la Ville de Toulouse et le cabinet d’ingénierie Medieco et le Réseau Environnement Santé est en cours sur la période 2022-2024, menée dans quatre crèches de la ville. Le projet CRECH-PEfree vise à connaître les concentrations des perturbateurs endocriniens dans ces 4 structures, permettra de prévenir leur présence dans les crèches par des solutions opérationnelles de limitation. Enfin, l’étude vérifiera le respect de l’interdiction de ces substances dans les produits mis en œuvre ou utilisés dans les lieux d’accueil de la petite enfance.
– Un projet innovant devrait voir le jour en 2024 dans le nouvel éco-quartier Guillaumet. Une crèche à étages abritant une crèche familiale un multi-accueil et un accueil d’assistantes maternelles indépendantes. A suivre !
– La crèche Sainte Lucie propose un accueil 24h/24h aux parents exerçant des métiers aux horaires décalés ou atypiques. C’est la dernière crèche encore gérée par le CCAS, dont les professionnels ont le statut hospitalier.
– La crèche Arcanèl propose un accueil en occitan à 40 petits toulousains. Un projet porté par l’association PitchouNat depuis 2019, qui laisse croire que la culture régionale occitane et sa langue sont encore bien présentes en Occitanie !
Laurence Yème
PUBLIÉ LE 02 octobre 2023
MIS À JOUR LE 12 juin 2024